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Scénario budgétaire de crise : les agents publics refusent de jouer les simples figurants

Scénario budgétaire de crise : les agents publics refusent de jouer les simples figurants

Et de deux. Le projet de loi de finances rectificative pour 2020, adopté le 15 avril en Conseil des ministres et présenté le 17 avril devant l’Assemblée nationale, est le deuxième depuis mars. Il prévoit un plan d’aides à hauteur de 110 milliards d’euros et des mesures dites de « reconnaissance » pour les agents publics. Ces derniers, qui travaillent plus que jamais à faire fonctionner la grande machine des services publics, indispensables à la population, pointent des mesures éphémères, étriquées et inégalitaires. État des lieux.

Depuis un moins, les prévisions concernant la croissance se faisaient de plus en plus pessimistes au fur et à mesure de la montée en flèche de l’épidémie. Le projet de loi de finances rectificative présenté le 17 avril à l’Assemblée acte la prévision d’un PIB en recul de 8 % sur 2020 et un déficit public (État, collectivités locales, Sécurité sociale) à 9 % du PIB (contre 3,9 % prévu en mars).

La réactualisation du scénario budgétaire pour cette année traduit ainsi la situation d’une économie nationale entrée en récession et la perte pour l’État de près de 43 milliards d’euros de recettes fiscales (soit 32 de plus qu’annoncé en mars). Il y aurait près de 13 milliards d’euros en moins du fait du recul des recettes provenant de l’impôt sur les sociétés et de la perte d’un peu plus de 9 milliards d’euros à travers la baisse des recettes de TVA, la consommation des ménages s’annonçant en berne. Les recettes de l’impôt sur le revenu seraient, elles, en recul de 4,6 milliards d’euros.

Les dépenses publiques (État, collectivités territoriales, Sécurité sociale) devraient s’élever à près de 61 % du PIB (contre 54 % l’an dernier). Selon ce deuxième projet, "au total le solde des mesures exceptionnelles et temporaires s’élèverait à 1,7 point de PIB en 2020".

Un plan relevé à 110 milliards d’euros

L’exécutif a décidé de revoir à la hausse le montant du plan d’aides prévues pour soutenir les différents secteurs professionnels et leurs salariés. De 45 milliards d’euros en mars, le plan passe à 110 milliards. Nous avons choisi de nous endetter plutôt que d’aller vers la faillite économique, indiquait ces derniers jours Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, évacuant toutefois l’idée de hausses d’impôts, par exemple une contribution supplémentaire des plus riches à la collectivité. Dès le 27 mars, Force Ouvrière demandait au président de la République des mesures réglementaires interdisant les versements de dividendes, ainsi que la mise en œuvre d’une fiscalité d’urgence sur les hauts revenus et la spéculation.

Le plan prend en compte les mesures de chômage partiel (désormais 9 millions de salariés sont concernés), cela à hauteur de 24 milliards d’euros (un tiers de ces dépenses étant assumées par l’Unédic). Il s’agit d’éviter les licenciements de masse, indiquait le 17 avril le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui n’écarte pas d’éventuelles nationalisations temporaires, sollicitant par ailleurs un effort des banques.

Sont aussi comptabilisés dans ce plan le report des cotisations sociales pour 12 milliards d’euros, la montée en charge – de 1 à 7 milliards d’euros –, du fonds de solidarité pour les PME et les indépendants.

Le projet prévoit aussi une enveloppe de 20 milliards d’euros pour la recapitalisation des entreprises en difficulté ou encore l’avance remboursable à l’État prévue pour les PME qui ne pourront pas décrocher un prêt auprès des banques. Le projet programme encore 1 milliard d’euros pour abonder le fonds de développement économique (doté déjà de 75 millions d’euros) visant à soutenir des entreprises de taille intermédiaire (les ETI, de 250 à 400 salariés). Enfin, ce plan entend consacrer 2,5 milliards pour des dépenses diverses qui pourraient arriver prochainement, ainsi qu’une enveloppe de financement des mesures, les primes, annoncées pour les fonctionnaires dont les personnels soignants.

Des primes, oui mais…

Le gouvernement a annoncé en effet le 15 avril la création d’une prime défiscalisée et désocialisée, d’un montant maximal de 1 000 euros, pour les fonctionnaires d’État travaillant actuellement sur sites ou en télétravail. Quatre cent mille fonctionnaires seraient concernés par cette prime modulable et calculée « en fonction de la durée d’engagement » sur le terrain, indique le gouvernement qui estime le coût de la mesure à 300 millions d’euros.

Cette prime serait aussi appliquée aux agents de la territoriale, à ceci près que les employeurs publics resteraient libres du versement de la prime et de son montant. Le gouvernement a annoncé aussi le versement d’une prime (elle aussi défiscalisée et désocialisée) de 500 euros au moins pour les agents hospitaliers, la prime s’élèvera à 1 500 euros pour ceux travaillant dans des établissements ou services accueillant des patients atteints du Covid-19.

Le gouvernement, qui annonce par ailleurs une majoration de 50 % des heures supplémentaires effectuées par les personnels soignants pendant cette crise, évalue le coût de l’ensemble de ces mesures pour les hospitaliers à 1,3 milliard d’euros. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, indiquait de son côté qu’une prime du même genre serait « très rapidement discutée puis attribuée dans tout le secteur du médico-social et notamment les Ehpad ».

Les fonctionnaires ne sont pas amnésiques…

Par ailleurs, l’exécutif a décidé de solliciter les comptes publics pour des aides aux plus modestes : 150 euros seront ainsi versés à la mi-mai aux allocataires du RSA et aux chômeurs en fin de droits et 100 euros seront versés aussi par enfant à charge aux familles percevant des aides au logement. Au total, estime le gouvernement annonçant une enveloppe de 900 millions d’euros, 4,1 millions de familles seraient concernées par ces aides.

Qu’en pensent les fonctionnaires ? D’abord, « le double discours, nous ne l’oublierons pas », insistait le 16 avril FO-Fonction publique, en référence aux années de tensions et de conflits entre les gouvernements successifs et les agents. Des gouvernements qui, tout en faisant mine de caresser les fonctionnaires dans le sens du poil, ont imposé le gel des salaires, des milliers de suppressions de postes et de multiples réformes qui ont mis à mal les services dans les trois versants de la Fonction publique.

Pour l’interfédérale FO, les mesures de « récompense "qui viennent d’être annoncées portent non seulement beaucoup ’d’incertitudes’, mais ne résolvent en rien le sort qui a été réservé aux services publics et à leurs personnels depuis des années." »

Une reconnaissance à géométrie variable

Ainsi en est-il des primes. FO-Fonction publique note ainsi « l’octroi d’une prime d’un montant plafond de 1 000 euros pour deux mois de présence au quotidien, souvent sans les moyens de protection, pour les agents de la fonction publique de l’État et de la territoriale », et déplore que cette prime ne soit « pas pour tout le monde », mais seulement "pour les agents dont le surcroît de travail est avéré". Par conséquent, « ceux placés de fait en autorisation spéciale d’absence (ASA), car n’effectuant pas des missions essentielles ou ne pouvant pas bénéficier de télétravail, en seront exclus ».

Les fonctionnaires FO s’insurgent aussi contre une inégalité de traitement des agents puisque « dans la territoriale, cette prime sera conditionnée à la bonne volonté de la collectivité et à l’accord de son assemblée délibérante ». Quant au versant hospitalier, relève encore FO-Fonction publique, le gouvernement ne semble pas vouloir que la prime concerne tous les agents du secteur.

La contestation est patente aussi concernant les mesures sur les congés. « Les chefs de service et employeurs publics pourront imposer un maximum de dix jours de congés aux agents. Pour ceux en ASA c’est la double peine, pas de prime et cinq jours d’ASA qui pourront être remplacés de manière rétroactive par des congés entre le 13 mars et le 15 avril ». Cerise sur le gâteau pour FO, « le tout a été décidé sans aucune concertation avec les organisations syndicales ».

Des mesures loin d’être à la hauteur

Bref, résume l’interfédérale, « quelques fonctionnaires vont percevoir une prime, certains peut-être même le montant maximum, mais dans le même temps tous se verront imposer des congés ».

Le 16 avril, cinq organisations de la Fonction publique, dont FO, notant que ces mesures ne sont ni « négligeables », ni « à rejeter », déploraient toutefois qu’elles soient « loin d’être à la hauteur des enjeux », et qu’elles « comportent d’inacceptables et injustes reculs ». Particulièrement concernées par les ASA, les fonctionnaires femmes risquent ainsi d’être « une fois de plus discriminées ».

Pour les fonctionnaires, tout comme les bravos distribués actuellement par l’exécutif aux agents, accorder des primes ne suffit pas pour calmer la colère d’agents qui revendiquent, globalement depuis dix ans, des augmentations de salaires.

Les cinq organisations, dont FO-Fonction publique, indiquent ainsi que « l’urgence est à l’ouverture d’une véritable négociation salariale. Celle-ci, qui doit intervenir au plus tard dans le mois de juin, doit porter sur le dégel sans délai du point d’indice et des mesures générales actées dans le budget 2021. Seules de telles mesures pérennes et transversales sont de nature à apporter la juste reconnaissance salariale de l’engagement et des qualifications des personnels ».

FO exige un calendrier précis pour des négociations salariales

Le 16 avril de son côté, la Fédération FO des Personnels des services publics et de santé (FO SPS) enfonçait le clou. « Une fois de plus le gouvernement joue la division et privilégie les finances à l’humain ! Les agents hospitaliers se sentent une fois de plus trahis par ce gouvernement ! Pour mémoire, FO revendiquait le paiement de cette prime à l’ensemble des personnels sur la base des bulletins de paye édités fin mars 2020. »

Or, souligne la fédération, « les éléments délivrés ce jour par le ministre annoncent déjà une usine à gaz, notamment sur la détermination des heures supplémentaires majorées à 50 %. Toutes ces mesures à géométrie et géographie variables ajouteront de la confusion et de la colère auprès des hospitaliers ».

Ainsi, pour FO-SPSS, « force est de constater que les vieux archaïsmes financiers n’ont pas quitté les ministères », et « cela n’augure pas de bons présages pour l’avenir sur le deuxième volet financier promis, à savoir la revalorisation et l’attractivité des carrières ».

La fédération exige ainsi « un engagement écrit sur un nouvel agenda social prenant en compte les promesses du président sur l’après Covid, mais également le retrait immédiat de la loi de transformation de la Fonction publique, de la loi « Ma santé 2022 » et du projet de réforme des retraites. Nous exigeons un calendrier précis sur l’ouverture de négociations salariales pour tous les agents de la Fonction publique ».

Plus globalement, le plan d’aides conçu par le gouvernement sera-t-il suffisant ? D’ores et déjà, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), structure rattachée à la Cour des comptes, fait part de sa prudence liée aux incertitudes de l’évolution de la situation. Ce plan « repose sur l’hypothèse forte d’un retour assez rapide à la normale de l’activité au-delà du 11 mai », indique-t-il, notant que « si cette hypothèse forte ne se réalisait pas, la chute d’activité pourrait se révéler supérieure ». On peut comprendre qu’un nouveau plan pourrait être nécessaire et que les agents publics seraient toujours plus sollicités.

De son côté le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, confirme ce que la situation actuelle laisse déjà entrevoir : « Nous en avons pour des années avant de sortir des conséquences économiques de cette crise ». Et les conséquences économiques sont indissociables des conséquences sociales. Dès lors, placés déjà au cœur de l’action de soutien aux populations, les différents secteurs des services publics et leurs personnels ont plus que jamais la légitimité d’exiger la reconnaissance de leurs missions à travers une amélioration substantielle de leurs salaires et non simplement par d’onctueux bravos de circonstance.

Valérie Forgeront, journaliste L’inFO militante