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La santé des fonctionnaires, une “couverture” tirée de toutes parts

La santé des fonctionnaires, une “couverture” tirée de toutes parts
6 juin 2017, PAR Bastien Scordia pour Acteurs Publics

Il est précisé que cet article est diffusé à titre d’information et ne reflète en aucun cas la position du syndicat FO DGFIP

Longtemps monopolisé par les mutuelles de fonctionnaires, le marché de la couverture santé des agents de l’État est aujourd’hui fortement convoité par le secteur lucratif.

Sujet d’apparence ultratechnique, la protection sociale complémentaire des fonctionnaires a des répercussions directes sur la qualité de vie au travail, la gestion des ressources humaines et plus largement sur les pratiques managériales au sein du secteur public. L’actualité est particulièrement brûlante du côté des administrations de l’État, qui sont à la manœuvre pour de nouvelles procédures de référencement, ce mécanisme par lequel elles sélectionnent le ou les organismes qui bénéficieront pour sept ans de leur soutien financier. Ces procédures prendront fin dans certains ministères le 31 décembre.

Après le quasi-grand chelem des mutuelles “historiques” de fonctionnaires lors de la première vague de référencement en 2009, ce deuxième round augure-t-il une véritable stimulation de la concurrence et une ouverture du marché de la couverture complémentaire au secteur lucratif privé, aux institutions de prévoyance et autres sociétés d’assurance ? Suspense…

Le ministère des Affaires étrangères comme celui de l’Économie et des Finances viennent tous deux de faire le choix de la continuité en retenant de nouveau les uniques tenantes de la précédente convention : la Mutuelle des affaires étrangères et européennes (MAEE) pour le Quai d’Orsay et la Mutuelle générale de l’économie, des finances et de l’industrie (MGEFI) à Bercy. Les choses bougent en revanche du côté du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, puisque à côté d’Harmonie Fonction publique, les sociétés d’assurance AG2R La Mondiale et Groupama – déjà référencée à l’Office national des forêts voilà sept ans – ont été retenues. La tendance reste toutefois largement favorable aux mutuelles d’agents publics.

Cadre juridique "eurocompatible"

“Elles ont vécu pendant des années sur leur pré carré et ont considéré qu’elles étaient inamovibles et aujourd’hui encore, un petit groupe de mutuelles s’estime propriétaire du marché et va une nouvelle fois remporter la mise, glisse Christine Hélary-Olivier, spécialiste des assurances non lucratives et maire adjointe d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). On a le sentiment que les mutuelles vont être référencées par dogmatisme et par arrangement et non dans un réel cadre de transparence et de concurrence.” La charge est féroce, mais se justifie, selon Christine Hélary-Olivier, par un regard dans le rétroviseur. Jusqu’en 2005, les administrations se basaient sur un arrêté interministériel de 1962 dit Chazelle pour accorder leurs financements aux seules mutuelles de fonctionnaires nées dans l’après-guerre. Des mutuelles créées par et pour les agents publics et souvent pilotées aujourd’hui encore par des fonctionnaires.

Le dispositif Chazelle est abrogé par le Conseil d’État en 2005 au motif qu’il ne respecte pas l’égalité de traitement entre les mutuelles et les opérateurs privés. Les traités européens interdisant les aides d’État (hormis en cas de respect de certaines compensations sociales), un nouveau cadre juridique “eurocompatible” est donc mis en place dans l’urgence en 2007 pour réguler la participation des ministères à la protection sociale de leurs agents : le référencement.

Instaurée par la loi de 2007 de modernisation de la fonction publique et confirmée par un décret d’application publié la même année, la procédure actuelle prévoit que les ministères peuvent financer la couverture complémentaire de leurs fonctionnaires uniquement par le versement d’aides à des organismes “référencés”. Ceux-ci sont sélectionnés sur la base d’un cahier des charges respectant 4 critères précis : le rapport garanties-tarif, le degré de solidarité entre les adhérents (c’est-à-dire la compensation du montant de la cotisation entre les agents aux risques forts et ceux aux risques faibles), la maîtrise financière du dispositif, fixant des limites maximales d’évolutions tarifaires et les dispositifs mis en œuvre pour la couverture spécifique des plus âgés et donc des plus exposés aux risques. En théorie, ces dispositifs n’interdisent pas au secteur lucratif de se positionner, mais voilà sept ans, les assurances privées n’avaient pas les armes pour lutter face à l’influence des mutuelles ni pour composer avec des règles du jeu tellement différentes de celles du secteur privé.

Rapport secret

Certes, les dispositions prévues lors de la première vague de référencement de 2009 ont été pour l’essentiel maintenues. La menace, avancée par les mutuelles “installées”, de l’entrée sur le marché d’opérateurs “prédateurs” qui ne cibleraient que les catégories les plus rentables en délaissant par exemple les populations les plus âgées s’éloigne. Reste que les lignes bougent. Un rapport d’audit du dispositif de financement réalisé par les inspections générales de l’Administration (IGA), des Affaires sociales (Igas) et des Finances (IGF) remis au gouvernement l’été dernier et jamais rendu public, malgré plusieurs saisines auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), suggérait, selon nos informations, de favoriser une plus grande dérégulation du marché.

Si le cadre juridique de ce référencement a été confirmé par une circulaire de la ministre de la Fonction publique, Annick Girardin, en juin 2016, les ministères ont la possibilité de modifier les rapports de force en retenant plusieurs organismes. Ce que certains ont déjà prévu dans le cadre de leurs cahiers des charges : un maximum de trois organismes assureurs pourront ainsi être référencés au sein du ministère de l’Éducation nationale, alors qu’à celui de la Justice, le choix a été fait de ne retenir qu’un seul organisme.

“Serait-ce la fin du référencement “Canada Dry”, aux allures d’un marché public mais préservant le monopole des mutuelles historiques ? J’en doute fortement…” glisse Christine Hélary-Olivier. Des interrogations partagées par le député UDI de la Marne Charles de Courson, auteur d’une question à la ministre de la Fonction publique en février dernier, au sujet du respect de la procédure de référencement : “La procédure et le pluralisme doivent être respectés au-delà des seules mutuelles historiques. Les fonctionnaires ont le droit de choisir la mutuelle qui est la meilleure pour eux”, revendique-t-il. Prudence du côté du secteur privé et de sa puissante porte-parole, la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), qui n’a pas souhaité se positionner publiquement. Voilà quelques mois, la FFSA faisait valoir à Acteurs publics la nécessité de “moderniser le système” et de changer les pratiques. “Dans les faits, les sociétés d’assurance peuvent reprocher de ne pas avoir accès à ce marché dans des conditions de réelle concurrence”, ajoutait la FFSA.

Pré carré ou non, l’argument selon lequel les mutuelles historiques de fonctionnaires bénéficieraient d’une situation de monopole dans les ministères irrite aussi bien les organisations syndicales que les mutuelles de fonctionnaires elles-mêmes. Selon Serge Brichet, le président de la Mutualité Fonction publique (MFP) – la plus importante fédération de mutuelles dans le secteur public –, “le marché de la protection sociale complémentaire n’a jamais été fermé. Toutes les complémentaires sont librement et facultativement accessibles à tous les agents publics”. Et de redouter une nouvelle fois une dérégulation du secteur de la couverture complémentaire en cas d’entrée de nouveaux organismes sur le marché. “Cela risque de provoquer une segmentation de la population et donc des mécanismes de solidarité. Nous savons très bien qu’un nouvel entrant ne va pas avoir tendance à aller couvrir en priorité les mauvais risques”, glisse-t-il. Un argument que brandit également le président de la fédération autonome FA-FP, le syndicaliste Bruno Collignon : “Nous ne pensons pas que les fonctionnaires gagnent forcément à avoir plus d’opérateurs.”

Mutations imposées

La stimulation plus ou moins réelle de la concurrence a en tout cas rebattu les cartes du marché de la santé des fonctionnaires, obligeant les mutuelles “historiques” à s’adapter et à s’interroger sur leur mode de fonctionnement. Pour se maintenir et élargir leurs offres de prestations, elles ont rationalisé leur organisation et se sont regroupées. C’est le cas de la MGEFI, née en 2007 du rapprochement des mutuelles dont disposaient chacune des directions des ministères économiques et financiers, ou encore des groupes Harmonie, Istya et MGEN, qui se réuniront au sein d’une union mutualiste de groupes (UMG) à compter de septembre 2017.

Des métamorphoses rendues encore plus nécessaires, depuis le 1er janvier 2016, par l’obligation faite aux employeurs du secteur privé de proposer à leurs salariés un contrat collectif de complémentaire santé, faisant craindre au passage à certaines mutuelles une fuite en avant des agents publics vers le régime de couverture de leur conjoint(e) travaillant dans le privé.

Par ailleurs, le rapprochement entre la mutuelle de fonctionnaires Intériale et la société d’assurance Axa, en juin 2016, fait bouger les lignes. Au sein du milieu mutualiste, certains disent être “tombés de leur chaise” à l’annonce de cette alliance, une première dans le monde mutualiste, mais certainement pas la dernière. “Intériale a franchi le Rubicon en passant dans le monde du lucratif, qui ne partage pas les mêmes valeurs ni la même approche de la protection sociale complémentaire !” grince un mutualiste. “L’environnement mutualiste est en train de se repositionner mais nous sommes toujours indépendants, rétorque Pascal Beaubat, le président d’Intériale. Quand l’on veut se développer et couvrir davantage de personnel, il faut trouver de la réassurance et des produits pour l’international. Cette alliance [qui a pris la forme d’une association loi 1901, ndlr] nous a permis de découvrir l’environnement État.”

Reste à savoir si le tandem Axa-Intériale sera retenu au sein des administrations, et notamment au ministère de l’Éducation nationale. Lors des dernières procédures rue de Grenelle, la perspective d’un référencement de la compagnie d’assurance Axa avait suscité l’ire des syndicats. L’organisation majoritaire, la FSU, craignait que la santé ne devienne une “marchandise” et évoquait même alors un risque de casus belli. Une pression payante, puisque le ministère avait in fine décidé de ne retenir qu’une seule mutuelle historique, la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN).

Il se murmure qu’il pourrait ne pas en être de même cette année rue de Grenelle, le ministère pouvant retenir jusqu’à 3 organismes. Le résultat des courses sera un marqueur fort, l’éducation nationale pesant quelque 1,1 million d’enseignants et d’agents publics. Mais ce ne serait qu’une étape vers de nouveaux rapprochements, capitalisations et autres bouleversements. La santé des fonctionnaires est décidément un marché en pleine ébullition.