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Réforme du recouvrement fiscal et social : un rapport perdant-perdant

Par lettres de mission du 2 octobre 2018 et du 29 avril 2019, la Ministre des Solidarités et de la Santé et le Ministre de l’Action et des Comptes publics ont chargé Alexandre Gardette (administrateur général des finances publiques) de leur faire des propositions pour réformer le recouvrement fiscal et social.

Ce rapport daté du 31 juillet 2019, transmis aux fédérations syndicales ministérielles, détaille les pistes pour unifier le recouvrement fiscal au sein de Bercy. Alexandre Gardette y a fait des propositions de transfert différencié, impôt par impôt.

Certains ont déjà été transcrits dans la loi de finances 2019 : la taxe sur les boissons non alcoolisées avec effet au 1er janvier 2019, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et la TVA sur les activités pétrolières avec effet au 1er janvier 2020.

Afin de poursuivre ces transferts, une organisation en mode projet sera mise en place à la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) et à la Direction générale des finances publiques d’ici fin 2019, afin de s’assurer du suivi, de la coordination de ces chantiers et de l’ensemble des volets qu’ils recouvrent.

Sur le fond, l’ensemble de la réforme, proposée par Alexandre Gardette, repose sur plusieurs chantiers distincts :

l’unification au sein de chaque sphère, recouvrement social autour de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS et recouvrement fiscal autour de la DGFIP) ;
le développement de synergies entre chacune de ces deux sphères, avec notamment l’instauration d’un portail informatique commun ;
les perspectives d’une éventuelle mise en commun de moyens, notamment en vue d’exercer le recouvrement forcé.

« L’unification » du recouvrement au sein de la sphère fiscale à l’horizon 2024

Pour la sphère fiscale, la lettre de mission du 29 avril dernier donnait la priorité au transfert des créances recouvrées aujourd’hui par le réseau de la DGDDI vers la DGFIP.

Les fédérations ont pris connaissance du transfert échelonné de 11 prélèvements sur les 14 restants à la Douane à l’occasion du groupe de travail ministériel du 12 septembre. Les transferts vers la DGFIP ont trouvé leur traduction législative dans le projet de loi de finances 2020 (PLF) aux articles 60 et 61.

Leur entrée en vigueur nécessite un délai avant d’être effective : cela implique notamment une réorganisation des réseaux (conséquences sociales, organisationnelles, fonctionnelles et transfert d’emplois) ainsi qu’une traduction applicative et informatique préalable (modifications des formulaires déclaratifs et partage des applications de la Douane ou adaptation de celles de la DGFIP).

Si le transfert du recouvrement est envisageable pour presque la totalité des prélèvements gérés par la Douane, il doit s’accompagner d’une nouvelle répartition des fonctions, en amont et en aval du recouvrement.

Notre fédération a rappelé l’importance et la cohérence de maintenir une chaîne de « recouvrement- contrôle » et a exprimé ses craintes de voir cette réforme du recouvrement ne devenir qu’une étape préalable « au transfert complet des contrôles à la seule DGFIP ».

Cette réforme fragilise l’ensemble du dispositif douanier, avec une perte de plus de 3 000 emplois si ce projet allait à son terme, sans apporter aucun renfort humain à la DGFIP.

Le maintien du recouvrement de certaines recettes à la DGDDI : pour le rapporteur, une exception de métier prévue par la lettre de mission est justifiée dans trois cas seulement : les droits de douane, la taxe intérieure à la consommation sur les produits énergétiques (TICPE), la TVA à l’importation due par les non-assujettis (régime dérogatoire).

Le PLF 2020 inclut le principe de l’unification du recouvrement, la liste des impôts concernés et le calendrier des transferts.

S’agissant des produits recouvrés par d’autres administrations ou des opérateurs de l’État, l’expertise est renvoyée au second semestre 2019 mais toujours dans l’optique de renforcer la polarisation autour de la DGFIP.

La direction du budget (DB) a recensé 53 organismes (hors réseaux des URSSAF, de la DGFIP et de la DGDDI) collectant des taxes affectées pour leur propre compte.

Pour le Centre national du cinéma (CNC) par exemple, le recouvrement de l’ensemble des taxes pourrait être transféré à la DGFIP à compter de 2022, avec une convention sur le contrôle fiscal et le contentieux.

L’ensemble de ces transferts vise à parachever la rationalisation du recouvrement dans la sphère fiscale et à inscrire le principe de la compétence générale de la DGFIP en matière de recouvrement fiscal dans la prochaine loi de programmation des finances publiques.

Cette partie du rapport ne part pas d’un constat où des arguments permettraient d’identifier de potentiels manquements dans l’exercice des missions douanières. Il s’inscrit uniquement sur un postulat politique de base : l’unification du recouvrement.

De là, il échafaude un scénario en deux temps, d’abord unifier le recouvrement fiscal puis se projeter vers une fusion du recouvrement aujourd’hui tricéphale (Douanes, DGFIP et URSAFF), pour un réseau unique au sein duquel rien n’assure par ailleurs que l’État garderait la main.

Depuis toujours, la DGDDI est une administration d’abord et avant tout fiscale, confirmée en cela par le transfert des contributions indirectes il y a bientôt trente ans. Le professionnalisme des agents a permis d’élaborer des outils modernes et d’avoir des résultats ne cessant de vanter les ministres successifs par médias interposés (Gérald Darmanin n’est pas le plus avare en la matière).

Du propre aveu des agents, les milliers de suppressions d’emplois à la DGFIP aboutissent à l’impossibilité matérielle et humaine d’effectuer l’ensemble des missions qui leur sont dévolues dans des conditions optimales, notamment les missions de contrôle. D’ailleurs, aucun agent, ni même une organisation syndicale (et certainement pas nous) n’a demandé un tel transfert de missions dans cette direction.

Pour une raison simple, ils savent très bien que ce dernier se ferait sans aucun transfert d’emplois et alourdirait ainsi encore un peu plus leur charge de travail. Il suffit de regarder les PLF 2019 et 2020, dans lesquels les premières taxes transférées ont validé des suppressions d’emplois en Douanes mais n’ont en aucun cas amorti le nombre de suppressions d’emplois à la DGFIP.

C’est donc une réforme perdant-perdant pour le personnel des deux administrations.

Les premières réunions qui ont eu lieu à Bercy suite à la publication de ce rapport démontrent d’autres enjeux, politiquement moins corrects, où des luttes de pouvoir, voire certaines rancœurs personnelles interfèrent. L’intérêt général qui sied à tout fonctionnaire est parfois oublié par les premiers d’entre eux.

Quant aux documents fournis, très partiels, leur étude a rapidement permis de délégitimer les données présentées qui ont pour seul but de valider le bien-fondé de la réforme, quitte à décrédibiliser le travail d’une administration et de son personnel, ce qui n’est pas acceptable tant sur la forme que sur le fond.

Développement de synergies communes et mise en place d’un portail informatique commun

Afin de développer les synergies entre les deux sphères (sociale et fiscale), le rapporteur propose notamment de mettre « un portail informatique commun » en place.

Dans cette optique, un questionnaire en ligne a été envoyé à un panel de professionnels usagers des sites des administrations. Les résultats ont permis de faire ressortir les attentes des répondants de disposer d’un portail unifié, proposant des services authentifiés via un identifiant unique. Le portail commun ne devra pas se limiter au seul recouvrement, incluant le déclaratif.

Le rapporteur se prononce pour qu’au-delà du paiement des cotisations sociales et des impôts, celui des amendes, des produits locaux et des produits non fiscaux de la DGFIP puisse être effectué sur ce portail.

Le projet de portail unique porterait sur l’ensemble des recettes collectées par les administrations fiscales, notamment la DGFIP (produits locaux, recettes non fiscales et amendes). Dans un premier temps, il serait ouvert aux usagers professionnels (entreprises, travailleurs indépendants, micro-entrepreneurs…) puis aux particuliers dans un second.

Le pilotage stratégique de cette réforme est confié à une mission interministérielle pour une durée de trois ans : « France Recouvrement », créée par décret le 10 septembre 2019. Elle est rattachée au secrétariat général des ministères économique et financier pour sa gestion administrative et financière. France Recouvrement est chargée du pilotage, de la cohérence et de la coordination des travaux liés :

1- à l’unification du recouvrement dans la sphère sociale, d’une part, et dans la sphère fiscale, d’autre part ;

2- au développement de nouvelles synergies et de coopérations entre les sphères fiscale et sociale et à la mutualisation de certaines données entre les réseaux ;

3- à l’harmonisation des procédures de recouvrement entre les deux sphères ;

4- au déploiement d’un portail informatique du recouvrement fiscal et social.

Présidé par le chef de la mission interministérielle, le comité stratégique comprendrait notamment la DGDDI, la DGFIP, la direction de la sécurité sociale (DSS et ACOSS) et éventuellement des personnalités qualifiées.

Le rapporteur préconise la création d’un service à compétence nationale, qui pourrait être mis en place par décret pour une effectivité juridique début 2020 et une affectation de moyens financiers et humains progressivement entre mars et août 2020 (temps de « recrutement » au sein des directions et de l’opérateur).

L’ampleur de ce projet informatique nous rappelle des exemples passés, tels Copernic avec son dépassement de délai de près de dix ans et surtout son coût pharamineux.

Quelques jours après la parution de la création de « France recouvrement », Alexandre Gardette en a été nommé chef de la mission interministérielle.

La mise en commun du recouvrement forcé, un scénario approfondi en priorité

La création d’un service de recouvrement forcé, spécialisé et commun aux réseaux existants est envisagé. Toutefois, compte tenu d’une organisation différente entre les deux réseaux et de performances difficilement comparables, la faisabilité et la pertinence de ce scénario n’ont pas pu être démontrées à ce stade.

Néanmoins, le rapporteur note que l’harmonisation des instruments risque d’accroître la concurrence entre les services chargés du recouvrement forcé de chaque réseau s’ils ne sont pas coordonnés.

L’étude des organisations actuelles des URSSAF et de la DGFIP révèle d’importantes différences qu’atténuent plusieurs points communs. La mission d’appui a analysé les organisations actuelles des deux principaux réseaux en matière de recouvrement forcé.

Les deux réseaux présentent des résultats significatifs en termes de performances de recouvrement mais les méthodes de calcul divergent et les gains escomptés, ainsi que les coûts correspondants n’ont pu faire l’objet d’une évaluation par la mission d’appui. Afin de remédier à cette situation, une convergence des indicateurs de performances doit être initiée.

L’ensemble de ces caractéristiques rend a priori complexe une mise en commun du recouvrement forcé d’ici 2022 mais cela demeure un scénario envisageable à moyen terme, en considérant à la fois les conséquences de la création d’un portail commun sur l’inter-opérabilité des systèmes d’information, celles d’une harmonisation des procédures et les nouvelles voies ouvertes par la loi de fonction publique en matière de recrutements de contractuels.

De surcroît, l’étude statistique menée sur les défaillants communs aux deux réseaux révèle des recoupements de périmètre.

La réduction du nombre d’interlocuteurs dans la sphère sociale et l’harmonisation des procédures entre les deux sphères permettront une simplification du point de vue de l’usager.

Par ailleurs, les « outils » juridiques et informatiques qui seront développés ces trois prochaines années permettront d’envisager plus aisément une unification complète du recouvrement des prélèvements obligatoires ultérieure, qu’il s’agisse du seul recouvrement forcé ou de l’ensemble de la chaîne de recouvrement.

Le rapporteur engage la DGFIP à démontrer que des gains de performances sont possibles par la spécialisation d’un service organique en matière de recouvrement forcé à partir de son « modèle de pôle de recouvrement spécialisé : « PRS » et d’une application spécifique.

Pour cela, la nature des actions de recouvrement effectuées par les PRS devrait être élargie dans le cadre d’expérimentations.

Ces nouvelles expérimentations gagneraient à être engagées sans attendre le développement de la nouvelle application de recouvrement forcé : recouvrement du service public (ROCSP).

Le syndicat national FO DGFIP était très réservé sur la création des PRS, dont aucun bilan n’a pu prouver l’efficacité. Les difficultés demeurent, que ce soit en termes de perte de technicité, de compétence territoriale des comptables, de liaisons entre les structures, de charge de travail pour les agents et de manque de lisibilité pour les usagers.

Dans le détail, l’application ROCSP vise à étendre l’outil existant « RSP » de recouvrement forcé des produits fiscaux des seuls professionnels aux particuliers et à l’ensemble des produits relevant de la DGFIP, à savoir :

➢ les produits fiscaux actuellement gérés dans l’application RAR (créances des particuliers notamment) ;

➢ les amendes actuellement gérées dans l’application AMD ;

➢ les recettes non fiscales actuellement gérées dans l’application REP ;

➢ les produits locaux actuellement gérés dans Hélios et les produits de l’assistance publique des hôpitaux de Paris (Eifel) ;

➢ éventuellement dans un second temps à d’autres types de produits (comme par exemple les produits douaniers ou certains types de cotisations).

Ce choix incarne l’approche unifiée du recouvrement forcé dans la sphère fiscale, engagé avec la création de la saisie administrative à tiers détenteur (SATD). Le développement de cette nouvelle application pourrait un jour constituer l’outil d’un éventuel service commun de recouvrement forcé. Le rapporteur souhaite associer l’ACOSS et la DGDDI au comité de pilotage du projet ROCSP.

Dans cette perspective, la DGFIP pourrait expérimenter une organisation plus poussée en la matière, tant d’un point de vue fonctionnel (élargissement du modèle des PRS) qu’informatique (autour de ROCSP) d’ici 2025.

Compte tenu de ces éléments, l’unification complète (au sens organique) du recouvrement fiscal et social, autour d’un seul opérateur, serait de nature à maximiser les gains d’efficience à long terme, lesquels restent au cœur de la transformation publique, avec une simplification pour les usagers.

Un tel objectif est hors d’atteinte pour 2022, compte tenu des chantiers à mettre en œuvre pour y parvenir. Cependant, il pourrait constituer une éventualité à l’horizon de la prochaine décennie.

Quelle que soit la solution retenue pour financer le projet (à commencer par le développement du portail commun), l’unification du recouvrement fiscal et social va nécessiter des investissements importants.

À travers des évolutions fonctionnelles et informatiques, le rapporteur propose que la DGFIP démontre l’intérêt d’exercer un recouvrement forcé multi-créances, via un modèle PRS rénové et un nouvel outil, ROCSP.

En effet, la rationalisation du recouvrement fiscal autour de la DGFIP se traduit d’abord par le transfert de nombreux prélèvements encaissés par la DGDDI. Cette première étape sera complétée par le transfert des produits gérés par les opérateurs de l’État.

La création de la mission interministérielle « France Recouvrement », chargée du pilotage d’ensemble de la réforme. Composé d’équipes mixtes, le service à compétence national permettrait de fédérer les acteurs sur ce projet commun.

Dans cette optique, le rapporteur demande à la DGFIP d’expérimenter un recouvrement forcé sur des créances de nature diverse, en élargissant le périmètre de ses pôles de recouvrement spécialisés, sans attendre le développement de sa nouvelle application ROCSP.

Le rapport « Gardette » ne trace aucun état des lieux de l’existant et ne démontre pas les insuffisances du dispositif actuel du recouvrement fiscal, justifiant de proposer une nouvelle organisation.

Ce document est une commande gouvernementale, qui s’inscrit dans les suites d’« action publique 2022 ».

Ses conclusions varient quelque peu de la lettre de mission, en écartant certaines options radicales (regroupement unique du recouvrement forcé, création d’une agence de recouvrement) à court terme. Mais l’unification complète du recouvrement fiscal et social demeure une éventualité pour la prochaine décennie.

À l’heure où le ministre justifie ces réformes sous le sceau des économies budgétaires mais également sous le prisme de libérer les entreprises du carcan administratif, la question pour nous de l’intérêt même de cette réforme est posée.