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Florian Glay : "La rémunération au mérite existe déjà dans la fonction publique, utilisons la"

Ancien DRH de la territoriale et aujourd’hui consultant, Florian Glay revient pour Acteurs publics sur l’annonce par Emmanuel Macron d’un développement de la rémunération au mérite dans la fonction publique. "Une réforme du régime indemnitaire est probablement nécessaire, mais il est possible de la faire dans le cadre législatif existant et avec les outils à disposition, explique-t-il. Nul besoin d’inventer un nouveau dispositif qui risque de mettre encore de nombreuses années à se déployer et à porter ses fruits".

Il y a quelque chose de surprenant d’entendre l’exécutif répéter son souhait de développer la rémunération au mérite dans la fonction publique. Déjà annoncée par Stanislas Guerini dans les orientations d’une prochaine réforme de la fonction publique, la rémunération au mérite a de nouveau été abordée par le Président de la République lors de sa conférence de presse du 16 janvier puis par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.

Cette orientation questionne car la possibilité de rémunérer au mérite un fonctionnaire et de conditionner son avancement de carrière est déjà possible si les employeurs publics utilisent correctement les outils à leur disposition.

Le déploiement du RIFSEEP consacre une partie du régime indemnitaire (IFSE) à valoriser le poste de l’agent et les sujétions comme la pénibilité, les horaires décalés ou encore le management. L’autre partie, le complément indemnitaire annuel (CIA), permet de rémunérer l’agent sur l’atteinte des objectifs, la manière de servir, son comportement ou encore sur la présence et l’investissement de l’agent.

Le CIA est un levier de motivation et de récompense important pour les employeurs publics qui décident d’en faire un outil à part entière de leur politique de rémunération et qui assument la possibilité de différencier les agents d’un même grade ou sur métier identique. C’est un outil particulièrement puissant quand il est au cœur de la stratégie RH de l’employeur public, qu’il fait l’objet d’un dialogue entre le manager et l’agent lors de l’entretien annuel et que les critères sont transparents.

Dès lors, il est toujours très surprenant de voir que des organisations publiques allouent des enveloppes qu’il convient de répartir sans même que des critères d’attribution soient discutés en instances du dialogue social. Il est tout aussi surprenant de voir que des sommes dérisoires peuvent être attribuées à l’ensemble des agents sans aucune distinction. Nombreuses collectivités ont pris la décision de mettre en place un CIA à 0 ce qui nuit à l’objectif de conditionner une partie de la rémunération au comportement des agents.

Ces pratiques ne reflètent pas l’esprit du texte ni même la nécessaire vision que nous pouvons avoir du régime indemnitaire afin d’attirer de nouveaux talents. Être attractif, ce n’est pas seulement faire de belles annonces de poste. Être attractif, c’est d’avoir une politique de rémunération transparente, qui reconnaisse l’égalité inhérente au statut de la fonction publique, mais aussi l’investissement de chacun, la capacité d’innovation et d’agilité des agents dans leur poste ou encore dans des fonctions annexes.
Une réforme nécessaire

Une réforme du régime indemnitaire est probablement nécessaire, mais il est possible de la faire dans le cadre législatif existant et avec les outils à disposition. La structure du RIFSEEP permet largement de travailler afin de tenir compte de l’expérience professionnelle, du positionnement hiérarchique, des contraintes liées au poste, mais aussi à la nécessité de voir l’investissement professionnel récompensé. Cette réforme du RIFSEEP doit s’effectuer au niveau de chaque employeur public et doit avoir pour objectif non pas de disposer d’un régime indemnitaire, mais de mettre en place une politique salariale qui donne une identité à l’employeur public. A ce titre, le cadre juridique fixé par le RISEEP permet de prendre en compte des enjeux nouveaux comme la transition écologique. Il conviendra de s’interroger également sur la capacité des agents à apporter des compétences, de l’expérience ou des idées avec leurs engagements personnels ou professionnels. L’investissement dans une association, l’animation d’un réseau professionnel, la recherche dans un domaine… Il est peu satisfaisant de constater que la fonction publique ne prend pas en compte l’investissement personnel de l’agent alors que celui-ci apporte beaucoup dans le fonctionnement des services.

Nul besoin d’inventer un nouveau dispositif qui risque de mettre encore de nombreuses années à se déployer et à porter ses fruits. Il n’est pas inutile de rappeler que de nombreux employeurs publics n’ont pas encore totalement déployés le RIFSEEP ou n’en n’ont pas fait un outil de rémunération à part entière.

Cette réforme du régime indemnitaire pourra contenir un autre levier encore méconnu : la prime d’intéressement à la performance collective des services. Prévue par le Décret n° 2012-624 du 3 mai 2012 et sa circulaire d’application du 22 octobre 2012, elle permet aux employeurs publics de verser aux agents jusqu’à 600 euros en fonction des résultats obtenus comme les délais de réponse aux usagers, le nombre d’actes produits, la présence aux formations, la satisfaction des usagers… Par ce biais, le législateur avait pour objectif de « valoriser la performance des services et la qualité des prestations fournies aux administrés ». Le gouvernement a relancé ce dispositif en 2019 avec la publication de deux décrets, mais son utilisation reste anecdotique.

Le CIA et la prime de performance collective sont deux outils au service de la rémunération au mérite souhaitée par le gouvernement et qui s’inscrit dans les conclusions du rapport Jean-Dominique Simonpoli et Paul Peny sur les perspectives salariales dans la fonction publique qui préconisait de recentrer le régime indemnitaire sur « la seule dimension liée à la performance ».

Il n’existe donc aucune contrainte juridique qui empêche de lier une partie de la rémunération des fonctionnaires au mérite. Le régime indemnitaire permet largement de mettre en place des critères et des systèmes permettant un tel objectif, même si celui-ci reste une part plus ou moins importante de la rémunération totale du fonctionnaire selon la catégorie et l’employeur public.

Le traitement indiciaire reste, fort heureusement, le principal élément de rémunération de l’agent public. Le principe de la carrière veut que ce traitement soit lié à l’évolution de carrière du fonctionnaire. Emmanuel Macron, dans sa conférence de presse du 16 janvier 2024, regrettait que celle-ci ne soit uniquement conditionnée à l’ancienneté de l’agent. Cette déclaration est particulièrement inexacte tant l’avancement de grade et de corps sont en partie liés à l’application de critères de sélection.

Si les conditions statutaires d’avancement reposent effectivement sur l’ancienneté, l’avancement au choix doit être encadré par les lignes directrices de gestion (LDG) qui fixent les conditions dans lesquelles le fonctionnaire pourra prétendre obtenir un avancement de grade dans le respect des taux. Cet avancement est aussi possible via le passage d’un examen professionnel qui va sanctionner le fonctionnaire sur ses connaissances. La promotion interne est également soumise à l’application des lignes directrices de gestion de l’employeur public dans le respect des quotas.

La bonne élaboration des lignes directrices de gestion dans l’avancement au choix doit permettre de faire reposer les procédures d’avancement de carrière sur le mérite et l’investissement professionnel, particulièrement l’atteinte des objectifs, la participation aux formations ou le degré d’investissement.

La création d’un outil de qualité et dans le respect des textes n’est pas encore acquise, y compris dans les ministères. Trop souvent, la procédure d’avancement de grade et de corps est opaque et les critères méconnus des agents. Trop souvent, les taux de promotion sont à 100 % et permettent à l’ensemble des agents d’obtenir un avancement sans appréciation de la valeur professionnelle, sans analyse des besoins de l’employeur et sans adaptation des postes occupés. Ces deux pratiques, à l’opposée l’une de l’autre, nuisent à l’attractivité de la fonction publique et à la possibilité de récompenser le mérite alors même que les outils existent. Une bonne politique RH repose sur la transparence des règles et les perspectives offertes aux agents.

Des dispositifs à approfondir

La volonté de développer la rémunération au mérite n’est pas originale. Elle s’inscrit dans une pensée ancienne qui voudrait faire croire que le fonctionnaire est inamovible, disposant d’une carrière toute tracée et que son investissement dans le poste n’est pas indispensable au regard de la sécurité professionnelle dont il dispose.

Cette vision oppose une nouvelle fois le fonctionnaire du salarié. Elle veut que ce dernier ait une motivation supplémentaire liée aux différentes primes sur les objectifs, le chiffre d’affaires ou la fréquentation des clients. La logique va parfois loin puisqu’elle permet à certaines branches professionnelles de disposer d’un salaire fixe bien en dessous du SMIC et de rémunérer les salariés sur la base des contrats rapportés.

Si cette logique fait rêver certains, elle cache une réalité moins avouable : de nombreux salariés du secteur privé ne touchent aucune prime liée à l’investissement professionnel. C’est notamment le cas de nombreux salariés des entreprises de la grande distribution, de la restauration rapide ou encore du secteur de la sécurité privée. La rémunération sur les objectifs est basée en grande partie sur la place occupée dans l’entreprise et vient souvent s’ajouter au salaire de base.

Quarante ans après l’adoption des lois portant statut du fonctionnaire, la manière de rémunérer le fonctionnaire, basée sur la distinction entre le grade (traitement indiciaire) et le poste (régime indemnitaire) présentent de nombreux avantages qu’il n’est pas judicieux de remettre en cause précipitamment. Elle permet de traiter les agents équitablement, lisse en partie les différences entre les employeurs publics et permet une forme de lisibilité de la rémunération.

Monsieur le Président de la République, la rémunération au mérite existe déjà dans la fonction publique et la carrière est déjà, en partie, liée aux résultats. Ce n’est pas un secret, les dispositifs légaux existent, il convient de les appliquer convenablement. Une nouvelle réforme de la fonction publique risque de mettre en difficulté des directions des ressources humaines déjà particulièrement affectées par l’inflation législative, les difficultés de recrutement ou encore la technicisation de la matière.

L’application du RIFSEEP est récente (2018), son déploiement encore en cours, les lignes directrices de gestion n’ont pas encore été correctement appliquées. Il convient de laisser du temps à ces dispositifs de rentrer en application, de vivre et de se réformer pour être des outils au service de la transformation de la fonction RH dans le secteur public. Privilégier l’approfondissement des dispositifs et la bonne application du cadre légal doit permettre d’aboutir à l’objectif recherché : améliorer la performance collective du service public !

par Florian Glay
5 février 2024,
Acteurs Publics, accéder à l’article initial