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Bilan de la première vague de recrutement des 4 000 conseillers numériques France Services

Martine Filleul : « Il y a urgence à mettre en œuvre
une véritable politique publique d’inclusion numérique »

Dans un avis rendu public le 14 décembre, la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP) du Parlement dresse le bilan de la première vague de recrutement des 4 000 conseillers numériques France services chargés d’aider les Français à accéder aux outils numériques et à les maîtriser, sans quoi il leur serait impossible d’accomplir leurs démarches administratives. Dans une interview, la sénatrice Martine Filleul, pilote du groupe de travail de la CSNP, appelle à pérenniser et conforter ce dispositif.

► Pourquoi la CSNP s’est-elle saisie de cette question des conseillers numériques France services ?

La CSNP traite déjà des questions d’inclusion numérique, à travers un groupe de travail sur la lutte contre l’illectronisme, car nous estimons que l’éloignement avec le service public accentue le sentiment d’abandon des Français. Il y a urgence à mettre en œuvre une véritable politique publique d’inclusion qui ne s’appuie pas simplement sur les conseillers numériques et les France services, mais aussi sur le maintien d’une alternative au numérique. Certains laissent penser que ce problème, parce qu’il touche essentiellement les seniors, se résoudrait naturellement avec le temps. Force est pourtant de constater que l’ensemble des tranches d’âges sont concernées, y compris des jeunes, habiles avec leur téléphone et sur les réseaux sociaux, mais beaucoup moins pour remplir une démarche en ligne. Nous sommes aujourd’hui à un moment charnière de ce dispositif des conseillers numériques France services, lancé après la crise sanitaire pour financer, recruter et déployer 4 000 conseillers numériques dans toute la France. Le gouvernement a lui-même évoqué un « acte II », avec l’arrivée de 4 000 autres conseillers. Il nous semblait essentiel de dresser d’abord un bilan de la première vague de déploiement.

► Quel bilan tirez-vous de ce dispositif, assez inédit par son ampleur permise par les crédits du plan de relance ?

Le dispositif affiche déjà des résultats intéressants, qu’il convient selon nous de pérenniser et surtout de conforter. En particulier du point de vue de sa territorialisation et de sa coordination, pour développer un effet de réseau et garantir la formation des conseillers. Tout cela a été lancé dans l’urgence de l’après-crise, et avec l’opportunité du plan de relance. Le temps est venu de prendre un peu de recul, à présent, pour évaluer et approfondir cette politique d’inclusion numérique, sur les plans qualitatif comme quantitatif. Il nous paraît indispensable que les conseillers numériques soient consolidés dans une approche plus globale, avec un relais par des aidants numériques, avec de la formation complémentaire dans les entreprises et une meilleure observation du phénomène de l’illectronisme. En résumé, ce dispositif doit s’inscrire dans une politique globale de lutte contre l’illectronisme et en devenir un des maillons à part entière. 

► Les conseillers ont été financés par l’État pour deux ans seulement, mais une rallonge a été annoncée. Quelles sont vos propositions pour les pérenniser ?

La première étape de la pérennisation consiste à donner un statut et un portage juridique clairs à ce dispositif, dont découlent différentes modalités de recrutement et une hétérogénéité des profils retenus. Il manque une vraie filière de professionnalisation du métier de conseiller numérique. Pour leur permettre d’évoluer dans leur carrière. Nous craignons que les nouveaux financements annoncés par le gouvernement ne suffisent pas à pérenniser la première vague de 4 000 conseillers. Il va donc falloir trouver des mécanismes de cofinancement avec les collectivités. Les fonds européens peuvent apporter une partie de la solution. Mais ce dont nous avons besoin collectivement, les élus, les employeurs de conseillers, et les conseillers eux-mêmes, c’est d’une clarification à long terme des financements, pour sortir du brouillard actuel. L’État doit formaliser son engagement dans le déploiement d’un programme pluriannuel de financement, pour définir les priorités et les perspectives de long terme. 

► Vous remettez aussi en question le pilotage du dispositif. Pourquoi appelez-vous à davantage l’appuyer sur les départements ?  

Nous avons constaté, au cours de notre travail d’enquête, auprès de différents acteurs, que le travail de coordination, certes primordial, assumé par les hubs

territoriaux d’inclusion numérique, n’était pas suffisant car complexe. Eux-mêmes sont censés trouver des modalités de financement de leur activité. C’est pourquoi nous souhaitons que les collectivités puissent jouer un rôle de chefs d’orchestre du dispositif complet de lutte contre l’illectronisme, en leur confiant d’abord une mission d’observation du phénomène sur le terrain. Il se trouve que les départements sont bien placés pour connaître leur population, grâce à leur action sociale, pour aller chercher les populations les plus en difficultés et mobiliser les acteurs sociaux et associatifs. Le tout en bonne concertation avec les intercommunalités et les communes, souvent démunies face aux citoyens en incapacité de se débrouiller avec le numérique, ne serait-ce que pour remplir leurs obligations fiscales ou accéder à leurs droits. 

► L’avis souligne aussi la nécessité d’impliquer davantage La Poste dans cette politique…

Nos auditions ont montré que la politique manquait « d’aller-vers » : trop nombreux sont les conseillers situés dans certains départements et dans les espaces d’accueil du public, comme des mairies ou centres sociaux. Ce qui les rend inaccessibles à toute une partie de Français qui n’entrent jamais dans ces lieux parfois institutionnels. Nous plaidons donc pour un déploiement plus assumé des conseillers dans les marchés ou les centres commerciaux, en bref dans des lieux de sociabilité peut-être moins intimidants pour certaines personnes. La Poste a de son côté une carte à jouer dans cet « aller-vers ». Ses 17 000 facteurs sont répartis sur l’ensemble du territoire et rencontrent la plus large palette de citoyens, dont ils peuvent détecter les plus en difficultés avec le numérique. La Poste développe déjà son offre en la matière, et accueille des conseillers dans ses postes, mais il y a encore matière à capitaliser sur son maillage territorial. 

► La note pointe également un angle mort, celui de l’inclusion numérique des détenus…

La situation des personnes incarcérées est un sujet qui me tient à cœur, et qui est régulièrement pointé du doigt par la défenseure des droits [Claire Hédon, ndlr]. L’absence d’accès à Internet en prison se révèle être une double peine car elle ampute la capacité des détenus à se réinsérer, en les empêchant de se former à distance ou de garder un lien avec le monde du travail. Y déployer des points d’accès et des conseillers pourrait être une option pour les accompagner dans cette réinsertion, seule solution au manque de places dans les prisons. (sic)

Propos recueillis par Émile Marzolf

Par Emile Marzolf, acteurspublics.fr, le 16 décembre 2022