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Constitutionnalité du PLFRSS - Amateurisme ou machiavelisme du gouvernement… ?

Arroseur arrosé !
Réforme des retraites : avec le « 47-1 »,
le gouvernement s’est tiré une balle dans le pied

Pour éviter que les débats ne s’éternisent à l’Assemblée, l’exécutif a choisi de faire passer sa réforme des retraites via l’article 47-1 de la Constitution, qui permet des débats très courts. Mais cette astuce juridique risque d’entraîner l’inconstitutionnalité de certaines mesures de la réforme. Pas de chance, ce sont celles qu’attendent le plus les Français.

Rencontre au sommet ce mercredi soir à Matignon. Élisabeth Borne y accueille Laurent Fabius, le président du Conseil Constitutionnel, qui a jeté un froid la semaine dernière, en laissant entendre dans le Canard Enchaîné qu’un risque d’inconstitutionnalité planait sur la réforme des retraites. Le projet a été présenté ce lundi 23 janvier en Conseil des ministres sous la forme d’un projet loi de financement rectificatif de la sécurité sociale. Ce que les spécialistes nomment un PLFRSS. Et cet acronyme obscur pourrait bien être un piège.

Pour comprendre, il faut avoir en tête que l’exécutif veut absolument éviter que les débats ne s’embourbent au Parlement. Les oppositions, et notamment la France Insoumise, risque de faire obstruction au texte en déposant un très grand nombre important d’amendements. Cela ralentirait son examen, en accentuant la pression sur le gouvernement, déjà mis à l’épreuve dans la rue. Ces derniers mois, Élisabeth Borne a esquivé l’opposition en utilisant le très décrié article 49-3 de la Constitution. En engageant sa responsabilité devant les députés, l’exécutif a pu faire passer des textes sans qu’ils soient votés par l’Assemblée. Mais, trop impopulaire, le 49-3 n’a pas été retenu pour la réforme des retraites.

La solution du bazooka

Dès lors, le gouvernement avait deux solutions pour contrôler les débats et éviter qu’ils ne s’éternisent à l’Assemblée Nationale. La première supposait l’activation du dispositif de « temps législatif programmé ». Avantage : il permet de fixer à l’avance la durée maximale de l’examen d’un texte. Inconvénient : « il faut six semaines entre le dépôt du texte à l’Assemblée et le début de son examen  », explique le constitutionnaliste Benjamin Morel, interrogé par Marianne.

Ce délai a sans doute été jugé trop long par l’exécutif, qui a donc opté pour la deuxième solution. Il a inséré la réforme des retraites dans un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale (PLFRSS). Et c’est là qu’apparaît le fameux article 47-1 de la Constitution, au cœur des débats. Cet article méconnu précise les délais dans lequel un PLFRSS peut être examiné à l’Assemblée.

Et ces délais sont très courts. Ce type de loi sert en principe à faire adopter le budget de la Sécu en fin d’année ou de le modifier rapidement si une crise inattendue surgit. À son alinéa 2, l’article 47-1 prévoit donc que : « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours ». Une fois passé par le Sénat, le texte doit aller en commission mixte paritaire, où sont réunis sept députés et sept sénateurs chargés de trouver un accord sur un texte final. S’ils n’y sont pas parvenus 50 jours après le dépôt du texte à l’Assemblée, l’alinéa 3 de l’article 47-1 indique que le gouvernement peut faire passer son projet de loi par ordonnance, et donc sans vote définitif du Parlement.

Sur le papier, cela donne donc la possibilité à l’exécutif de faire adopter la réforme des retraites en cinquante jours et sans vote de l’Assemblée Nationale. Si le 49-3 est une bombe, le 47-1 est un bazooka. Son usage est très inhabituel, de surcroît pour une réforme de cette importance. À cet égard, l’option choisie par le gouvernement pourrait constituer un dangereux précédent selon certains constitutionnalistes, comme Benjamin Morel.

Les fourches du Conseil Constitutionnel

Sauf que l’astuce du gouvernement pourrait se retourner contre lui. Lors d’un déjeuner auquel assistaient des journalistes du Canard Enchaîné, Laurent Fabius a indiqué qu’il fera la chasse aux « cavaliers sociaux » lorsque le texte parviendra au Conseil Constitutionnel. « Nous ne voulons pas de détournement de procédure. Si un texte arrive au Sénat sans un vote préalable de l’Assemblée c’est embarrassant. Nous regarderons si [le texte] a une incidence financière, car tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire et dans ce cas il faudrait un deuxième texte  », a précisé le président du Conseil Constitutionnel.

Cela veut dire que le Conseil va vérifier scrupuleusement si des mesures sans rapport avec l’objet de la loi – censée rectifier les comptes de la Sécu – se cachent dans le projet de réforme. Laurent Fabius en a clairement visé certaines, comme « l’index des seniors » ou la modification « des critères de pénibilité ». En clair, certaines mesures « sociales » pourraient être éjectées du texte par le Conseil Constitutionnel.

Pris au piège

L’esquive juridique ressemble donc un piège politique. En voulant gagner la bataille de l’Assemblée, le gouvernement pourrait définitivement perdre celle de l’opinion, qui a déjà du mal à croire aux promesses de « justice » de la Macronie. De plus, cela risque d’obliger le gouvernement à déposer une deuxième loi sur les retraites plus tard dans l’année. Et dont l’adoption pourrait à nouveau nécessiter l’usage de l’article 49-3. Pour le gouvernement, c’est un problème de taille.

Hors des textes budgétaires, il ne peut utiliser qu’un 49-3 par session parlementaire. Et ce « joker » était initialement prévu pour faire passer la loi immigration sur laquelle planche Gérald Darmanin… Signe qu’avec le désormais fameux 47-1, le gouvernement semble s’être tiré une balle dans le pied. À moins que le sommet de l’État ne joue aux Machiavel. « Ne sous-estimons jamais l’intelligence des gens. Ils peuvent aussi avoir très bien anticipé cette difficulté juridique et s’en servir pour purger le texte final des mesures sociales qui ne les arrangent pas », suggère un très bon connaisseur du droit public. (sic)

Par Pierre Lann, marianne.net le 25 janvier 2023