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Pierre Moscovici : “Le nouveau régime de responsabilité amènera les gestionnaires à être beaucoup plus vertueux”

A la veille d’un colloque organisé par la Rue Cambon et l’INSP en partenariat avec Acteurs publics, le premier Président de la Cour des comptes Pierre Moscovici revient sur les grands axes et les enjeux posés par la réforme du régime de responsabilité financière des gestionnaires publics. A l’heure actuelle, la nouvelle chambre du contentieux de la Cour a reçu une cinquantaine de saisines venant d’administrations qui ont détecté de possibles infractions.

Où en est-on du déploiement du projet "JF 2025", le plan de modernisation des juridictions financières que vous avez lancé à votre arrivée à la tête de la Cour des comptes ?

C’est sans doute l’une des transformations les plus significatives que la Cour des comptes ait connue depuis sa création. La quasi-totalité des actions sont aujourd’hui lancées. Les dimensions de ce projet sont nombreuses : l’agilité, avec la réduction des délais de production de nos travaux, le renforcement de notre attractivité en nous saisissant des opportunités ouvertes par la réforme de la haute fonction publique ou encore l’ouverture des juridictions financières, avec le souhait de faire de la Cour la maison des citoyens. Nous avons fait des progrès décisifs en la matière, avec en particulier le lancement d’une plateforme de participation citoyenne : la deuxième campagne de collecte des propositions de contrôle ou d’enquêtes vient de s’achever, et nous comptons une multiplication par deux de la participation et des thèmes suggérés. Nous allons désormais examiner ces propositions avant de retenir certains thèmes de contrôle dans notre programmation. Notre rôle dans le débat public est par ailleurs renforcé par la publication de 100% de nos rapports, ce qui aura à terme des conséquences en termes de communication mais aussi de programmation. Celle-ci devra être beaucoup plus stratégique, exigeante et sélective.

Il y a eu plusieurs évolutions sur le plan de l’organisation également …

En effet, j’ai voulu faire évoluer considérablement la gouvernance de cette maison avec comme priorité de rapprocher la Cour des chambres régionales des comptes (CRC). Cela se traduit par le fait que le comité du rapport public et des programmes, notre instance supérieure d’examen des rapports publics, dont le rapport annuel (RPA), est désormais composé à parité de présidents de chambre de la Cour et de présidents de CRC.

Dans le cadre de la réforme du régime de responsabilité des gestionnaires publics, la Cour s’est également dotée d’une nouvelle chambre chargée du contentieux. S’agit-il d’une montée en gamme pour la Cour alors que ce contentieux était jusqu’alors éparpillé entre les différentes chambres de la Cour et les CRC ?

C’est une petite révolution, une modernisation et une simplification considérable du système. La responsabilité des ordonnateurs et des comptables est désormais traitée par un seul juge. Le régime précédent était à bout de souffle. Le nombre d’affaires portées devant la Cour de discipline budgétaire et financière (compétente pour les ordonnateurs) était peu important, son activité était faible et son pouvoir de sanction inégal. Quant aux comptables, qui relevaient jusqu’alors de la compétence de la Cour et des CRC, il existait un mécanisme, celui de la remise gracieuse ministérielle, qui conduisait à une irresponsabilité de fait de la plupart des comptables publics, à savoir. On se concentrait de surcroît trop sur des manquements sans enjeux. Le nombre de réquisitoires notifiés par la Cour et les CRC ne cessait d’ailleurs de baisser. Il y avait donc une forme d’attrition du régime de la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP).

Missionné par le gouvernement, le directeur général de Pôle emploi Jean Bassères proposait toutefois de supprimer cette RPP…

Cela aurait abouti à faire de la Cour un organisme dont les membres étaient magistrats mais qui n’était plus une juridiction en tant que telle. C’était inacceptable pour moi. Supprimer la RPP aurait été une faute, une faute politique. Cela aurait ouvert un espace purement managérial, pour lequel la possibilité d’un jugement aurait été supprimée. Or, nous ne sommes pas dans une époque où les questions de probité et de responsabilité sont mineures, loin de là ! Plutôt que de supprimer un ordre de juridiction complet, il fallait plutôt le réformer.

L’idée est d’amener les gestionnaires à être beaucoup plus vertueux, face à la possibilité de sanctions réelles.

Quel premier bilan tirez-vous de l’activité de la nouvelle chambre du contentieux de la Cour des comptes ?

Le nombre de déférés, c’est-à-dire le nombre de saisines venant d’administrations qui ont détecté de possibles infractions, s’élève aujourd’hui à une cinquantaine, soit environ une affaire par semaine. Le parquet général près la Cour des comptes montre de son côté un niveau d’activité contentieuse en hausse. Cela est la preuve d’une acculturation progressive du nouveau régime de responsabilité.

Cette réforme peut-elle véritablement permettre de répondre aux attentes des citoyens ?

Je ne dirai pas que cela suffira en soi, néanmoins cette réforme peut contribuer à la restauration de la confiance des citoyens envers les décideurs publics. Le nouveau régime est dissuasif. L’idée est d’amener les gestionnaires à être beaucoup plus vertueux, face à la possibilité de sanctions réelles. Cela va dans le sens d’une réponse à l’attente de probité et de régularité exprimée par nos concitoyens. Il faut aussi mentionner la plateforme de signalement que nous avons lancé en septembre 2022 et qui permet à tout citoyen de signaler à la Cour des irrégularités ou des dysfonctionnements constatés dans la gestion publique. Il ne s’agit pas pour autant de donner crédit à des actes de délation et encore moins de les encourager. La procédure de recueil et de traitement des signalements effectués ne retiendra que des faits objectivés, documentés et étayés dans une logique d’aide à la programmation de nos contrôles de régularité. Cette plateforme connaît déjà un grand succès avec 1 203 signalements recensés à l’heure actuelle.

Avec le nouveau régime, désormais, la responsabilité des gestionnaires publics ne pourra être engagée que pour les fautes "les plus graves", à condition que le préjudice financier soit "significatif"’. N’est-ce pas une régression comme certains ont pu l’évoquer ? Les hypothèses d’engagement de la responsabilité ne vont-elles pas être réduites à la portion congrue avec le nouveau système ?

Je comprends les inquiétudes, mais le terme de régression est totalement inadapté. Régresser suppose de reculer par rapport à l’état ex-ante, or ce n’est pas le cas puisque le régime antérieur était devenu inadapté. Sa refonte est donc un pas en avant, pas une marche en arrière ! On ne peut donc pas qualifier de régression le nouveau système, d’autant que celui-ci sera ce que la chambre du contentieux, la Cour d’appel financière et le Conseil d’État, en feront en définissant précisément le contenu des nouvelles notions introduites, à savoir la faute « grave » et le préjudice financier « significatif ». Si l’architecture juridictionnelle de la réforme me satisfait totalement, j’aurais, je l’avoue, préféré que la caractérisation de la faute et celle du préjudice soit un peu moins précise. Mais on ne peut pas gagner 100% des arbitrages. Certaines précautions ont été prises, inspirées par Bercy, soucieux on le comprend du ressenti des comptables publics. Au final, le juge décidera et fixera sa doctrine. La question n’est donc pas de savoir si le nouveau régime est régressif, il ne l’est pas, mais d’apprécier s’il est trop restrictif.

Sans doute, on aurait pu être moins précis sur la définition du préjudice financier

Il reste donc beaucoup de choses à régler par la jurisprudence…

Oui, le juge aura notamment à déterminer le niveau de la gravité à partir duquel la responsabilité d’un gestionnaire public pourrait être engagée, car la loi ne définit pas précisément ou positivement ce qu’est une faute grave. Ce sera donc une construction juridictionnelle, car la gravité d’une faute peut être appréciée sur de multiples plans, l’importance des règles violées, le niveau de compétence du responsable en question… Quant au préjudice financier, qui doit être significatif, il faudra en évaluer l’importance. Je fais confiance au juge pour être proportionné, non pas pour exercer une pression terrorisante et insécurisante pour les gestionnaires, mais pour être ferme tout en préservant la souplesse de l’action publique.

Vous dîtes que vous auriez préféré que la caractérisation de la faute et celle du préjudice soit un peu moins précise. Certains, dont le député LIOT Charles de Courson, avaient néanmoins proposé de fixer une valeur à ce préjudice, en l’occurrence 50 000 euros…

Sans doute, on aurait pu être moins précis sur la définition du préjudice financier mais, à l’inverse, définir précisément le montant de ce préjudice aurait considérablement rigidifié le système. Le risque eût été que ces montants soient limitatifs, avec un résultat opposé à ce que l’on recherche.

La balle est désormais dans le camp de la Cour d’appel financière. Le parquet général près la Cour des comptes a en effet décidé de faire appel du premier arrêt rendu par la chambre du contentieux. Ce recours porte notamment sur l’appréciation du préjudice financier et surtout son caractère significatif. Cette Cour a-t-elle un rôle essentiel à jouer pour fixer la jurisprudence et faire en sorte que ce nouveau régime de responsabilité ne se résume pas à une coquille vide ?

Je ne peux pas commenter une décision d’appel, sachant que la procédure est en cours, d’autant plus que je préside cette Cour d’appel financière. Les premiers appels sont malgré tout importants, car ils permettront à la Cour d’appel de préciser les notions qui posent aujourd’hui question, comme l’appréciation du préjudice financier et surtout son caractère significatif. Je le redis, la formulation restrictive ne me parait pas être un obstacle à l’engagement de la responsabilité des gestionnaires publics, mais ce sera au juge d’en apprécier et d’en définir les contours. La réforme aura dans tous les cas un effet vertueux sur les comportements des gestionnaires publics qui, eux-mêmes, seront plus attentifs à l’existence du juge, parce que leurs fautes seront désormais véritablement sanctionnées.

La création de la nouvelle chambre du contentieux de la Cour des comptes a-t-elle nécessité de recruter des profils spécifiques ?

Cette question se posera. Nous avons à la Cour et dans les chambres régionales des magistrats très axés sur ces questions de contentieux et d’autres qui le sont moins. Dans l’ancien système, tout le monde faisait du juridictionnel. Pour certains c’était une passion, pour d’autres davantage une obligation. Nous avons regroupé les personnes les plus motivées et les plus spécialisées au sein de la chambre du contentieux. Je suis donc très confiant sur la qualité de la jurisprudence à venir de la nouvelle chambre du contentieux. Le véritable enjeu sera de voir comment ce vivier pourra être renouvelé. J’ai donc donné consigne à chacun, lors de ses contrôles de régularité, d’avoir toujours en tête de voir comment une affaire peut être déférée à la chambre du contentieux. Il faudra former continuellement nos magistrats sur ces questions juridictionnelles.

Propos recueillis par Bastien Scordia

PAR BASTIEN SCORDIA
7 novembre 2023
Acteurs Publics, accéder à l’article initial