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La revue de dépenses ou l’art du bras de fer politico-budgétaire permanent

L’exercice, bien que hautement politique, reste très budgétaire et se heurte à la multiplicité des acteurs et de leurs intérêts.

“Derrière la question des finances publiques, qui peut paraître technique, il existe un enjeu politique majeur.” En ouverture des Assises des finances publiques, le 19 juin dernier, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a tenté de repolitiser une démarche – la revue des dépenses publiques – trop souvent réduite à un exercice strictement budgétaire.

La preuve en est que la revue des dépenses et ses formes plus élaborées ou à tout le moins plus ambitieuses que sont les programmes de réforme de l’État (RGPP, MAP, AP22) se heurtent inlassablement à bien des embûches, semées par une variété d’acteurs internes et externes à l’État (lobbies, Parlement, administrations) lorsqu’il s’agit de composer la liste des économies à réaliser, et de les concrétiser.
Envoyer un message

C’est ainsi que la RGPP, honnie des syndicats de fonctionnaires, et souvent résumée à la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, s’est réorientée en fin de parcours, ou “adoucie” selon les mots d’un de ses contributeurs, pour être davantage à l’écoute des “parties prenantes” de chaque réforme.

C’est ainsi, également, que la Modernisation de l’action publique (MAP), façonnée en rupture avec la RGPP, dans une logique de coconstruction, d’écoute des parties prenantes et d’évaluation plus fine des politiques publiques dans leur globalité, a rapidement été rattrapée par un impératif budgétaire et une difficulté à se traduire par des réformes concrètes.

Car une revue des dépenses, ou des missions, aussi technique soit-elle, n’en demeure pas moins hautement politique. “Tout gouvernement quel qu’il soit est tenu de présenter un programme cohérent de réforme de la gestion publique et cette exigence tend à peser toujours davantage”, écrivait le professeur de droit public Jacques Chevallier, quatre ans après le lancement de la dernière illustration en date de cet exercice “récurrent”, la MAP.

Organiser une revue des dépenses, c’est envoyer un message à Bruxelles, aux marchés, mais aussi aux Français, en jouant la carte du rétablissement des comptes publics, gage de sérieux. Pour Bruno Le Maire, c’est ainsi une manière de mettre un coup d’arrêt au “quoi qu’il en coûte”, en référence aux protections mises en place par l’État face au Covid-19 puis à la crise énergétique, tout en défendant une position politique. “Voulons-nous être les champions de la dette et des impôts, ou bien les champions des investissements, des innovations et de la transition écologique ?” a-t-il posé en ouvrant les Assises des finances publiques.

Et même lorsque le discours entourant ce type de démarche se réclame d’une neutralité quasi scientifique, elle ne l’est jamais véritablement. “Il faut regarder ce que le gouvernement vise à travers cette revue, et ce qu’il ne vise pas. La communication gouvernementale a largement insisté sur les arrêts maladie et le remboursement des médicaments, mais a occulté les aides aux entreprises, pourtant colossales”, observe Lucie Castets, porte-parole du collectif Nos services publics, marqué à gauche.

Un des artisans de la MAP le reconnaît volontiers, ce type d’exercice n’est jamais “neutre ni sans a-priori”. Il n’y a qu’à voir comment la MAP s’est construite et déployée : en prenant le contrepied d’une RGPP jugée trop descendante, parfois brutale dans sa quête d’économies fléchées par des consultants privés, et en misant plutôt sur la transparence, le dialogue, la coconstruction. Et puis AP22 est arrivé avec une forme de synthèse des deux précédents programmes, pour proposer, au nom d’une certaine efficacité et d’un principe d’ouverture, un plan de “transformation publique” destiné à dégager des économies, mais en assumant la nécessité d’investir pour y parvenir. Un plan par ailleurs concocté par des personnalités diverses issues de la société civile et réunies au sein du comité CAP22. Du moins sur le papier.
Décisions lourdes de conséquences

“La promesse était de s’appuyer sur des profils extérieurs pour challenger le gouvernement, mais la réalité était que la plupart des participants, même du privé, avaient un background d’énarque et dans certains cas, d’inspecteur des finances, relate un participant. Compte tenu des délais, nous nous sommes surtout contentés de débattre de propositions pas toujours créatives déjà soumises par des inspections et des rapports par le passé, sans requestionner le fond des politiques publiques.” Autre écueil, observé par d’autres participants : une fois leurs préconisations transmises aux 3 coprésidents du comité, les participants sont restés dans le noir complet. Le rapport final lui-même a d’ailleurs été enterré, avant d’être révélé par un syndicat.

La volonté était pourtant de trancher avec la méthode classique de revue des missions, fortement imprégnée par la direction du budget. Une “DB” à la vision presque “naïve” mais qui a son efficacité pour identifier des gisements d’économies. “La représentation de la DB part du principe qu’il est possible de distinguer a priori bonne et mauvaise dépense publique, sans aller jusqu’à constater les « impacts » dans le réel”, souligne un ancien du SGMAP. “La DB a une vision fine des mécanismes administratifs mis en œuvre pour chaque politique publique mais va préférer des analyses plus ciblées (que penser du Pinel vs. le Duflot par exemple* ?) et se retrouver prise dans une logique budgétaire de dépenses brutes sans prendre en compte les effets de second tour ou de rebond qui peuvent intervenir”, complète un haut fonctionnaire qui œuvrait à la modernisation de l’action publique (MAP) à l’époque en cabinet ministériel. La MAP portée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault visait à sortir d’une règle mathématique “aveugle et absurde”, pour redonner un peu de sens aux efforts de réforme.

De fait, une fois le dispositif lancé, et même pendant la MAP, la dimension politique a tendance à se perdre rapidement au profit d’une approche très "techno”, de comités de pilotage en réunions interministérielles (RIM), mais elle revient comme un boomerang dès lors qu’il s’agit de passer à l’action et de se frotter au réel pour dépasser les lignes budgétaires. “Une revue consiste d’abord à dire ce que l’on coupe ou pas, à distinguer ce qui est prioritaire de ce qui ne l’est pas, relève Laure de La Bretèche, ancienne directrice du secrétariat général à la modernisation de l’action publique (SGMAP). L’exercice ne peut qu’être déceptif dans la mesure où chaque décision est habitée de sous-jacents politiques qui nécessitent de vrais arbitrages : l’école est-elle plus importante que la justice ?”

“La difficulté avec ce type d’exercice est que tout le monde veut bien faire des économies, mais sur le budget des autres”, abonde une inspectrice ayant contribué à la RGPP et à la MAP. Or “il n’y a rien dans l’État qui n’ait pas été construit pour une raison de politique publique ou de clientèle politique. Dès lors qu’on y touche, il faut être prêt à composer avec les forces en présence”, fait observer Romain Beaucher, passé par le cabinet de Marylise Lebranchu lorsqu’elle était ministre de la Réforme de l’État. La suppression des niches fiscales en est le parfait exemple. Le grand ménage promis à échéances régulières par les politiques n’a jamais vraiment lieu. “Dans chaque niche, il y a un chien”, rappelle Laure de La Bretèche. Et il n’est pas toujours opportun de se mettre ce chien à dos, ni même, parfois, de déterminer combien cette niche en abrite.
Des ministères plus ou moins allants

Chaque dispositif de réforme de l’État ouvre aussi en interne un jeu d’acteurs et d’organisations, disposant chacune de leurs culture professionnelle, motivations ou mêmes intérêts à défendre : consultants, inspections générales, administrations, et même ministres. Des ministres dont le mode d’action principal consiste à débloquer des moyens supplémentaires et qui ne sont donc pas toujours enclins à proposer des pistes d’économies. Ce jeu d’acteurs se tient ainsi tout long du processus, de la phase de remontée des sujets de réforme et pistes d’économies jusqu’à la mise en œuvre des ­recommandations, en passant par la conduite de la mission d’audit ou d’évaluation. Outre la vision portée par la DB, “les directions métiers dans les ministères, qui ont leurs propres objectifs de politique publique (pas toujours formalisés en indicateurs chiffrés), peuvent faire levier sur ces dispositifs de « réforme de l’État » pour avancer leurs propres sujets”, note un ancien conseiller à Matignon.

Sans compter la multitude de gagnants ou de perdants – côté acteurs publics – de tel ou tel projet de réforme, qui vont vouloir influencer ou freiner une décision. “L’État ne fonctionne que par bras-de-fer pour départager les administrations qui traitent du même sujet, ce qui explique l’existence des RIM pour résoudre des points de vue divergents”, resitue Éric Woerth, le père de la RGPP.

Ce qui peut d’ailleurs donner lieu à de véritables passes d’armes entre ministres. Ce fut notamment le cas lors de la fusion d’UbiFrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux (Afii) préconisée par une évaluation de la MAP pour donner naissance à Business France. Un organisme unique pour gérer à la fois l’accueil des investissements étrangers en France et la promotion des entreprises françaises à l’étranger. Le rapprochement a d’abord été bloqué par le Quai d’Orsay, alors en pleine OPA sur la “diplomatie économique” sous l’impulsion de Laurent Fabius, avant que celui-ci n’en accepte la tutelle.

In fine, la tutelle a également été attribuée à Bercy et au ministère des Territoires. “Parfois, les mêmes personnes qui ne voient pas la pertinence de fusionner ou refondre tel et tel organisme ou politique publique, sont capables d’un revirement dès lors qu’ils en prennent la charge”, regrette un ancien conseiller ministériel qui s’est trouvé aux premières loges des réformes. Comme quoi, le sort d’une réforme tient parfois à pas grand-chose…

* Deux dispositifs de soutien à l’investissement locatif mis en place sous le quinquennat de François Hollande.

par Émile Marzolf
22 septembre 2023
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