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Surcoûts, retards… La mutualisation de la gestion des retraites des fonctionnaires dérape

Entre d’importants retards, des surcoûts et un “défaut de pilotage”, le projet de mutualisation des systèmes d’information des retraites des fonctionnaires “présente des risques élevés”, tonne la Cour des comptes dans un référé, en appelant à une “reprise en main” urgente. Le gouvernement Borne se défend tout en reconnaissant des “aléas préoccupants”.

La Cour des comptes sonne l’alerte : le projet de mutualisation des systèmes de gestion des retraites des fonctionnaires doit être urgemment repris en main. La Rue Cambon vient en effet d’adresser un référé au vitriol au gouvernement Borne à propos du projet de mutualisation des systèmes d’information des deux gestionnaires de la retraite des fonctionnaires : le service des retraites de l’État (SRE), rattaché à la direction générale des finances publiques (DGFIP) et qui assure le calcul, la liquidation et le versement des pensions de retraite des fonctionnaires de l’État ; et la Caisse des dépôts (CDC), qui assure la gestion des retraites des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers affiliés à la CNARCL.

Engagé dans le contexte de feue la réforme des retraites de 2020, qui prévoyait la création d’un régime universel, l’accord de partenariat conclu en décembre 2020 entre le SRE et la CDC visait à développer dans un cadre mutualisé des applications informatiques de la chaîne de traitement des pensions des fonctionnaires, de manière à remplacer leurs applications plus anciennes.

Dénommé “MutSI” et doté d’un budget initial de 33 millions d’euros, ce projet prévoyait le développement de 3 solutions applicatives communes aux 2 entités. Et ce sur le référentiel des usagers, la liquidation et enfin le paiement des pensions. Au total, ce programme mutualisé couvre un champ de 4,5 millions de fonctionnaires actifs, 3,2 millions de pensionnés (les retraités) et 40 000 employeurs publics. Le tout pour un montant de 116 milliards d’euros de pensions versés chaque année.

Difficultés d’interconnexion mal anticipées
À l’issue de son contrôle, la Cour des comptes constate que ce projet “présente des risques élevés”, à commencer par d’“importants retards”. C’est le cas notamment pour le premier jalon du projet, le déploiement d’un référentiel commun des usagers, qui a été repoussé “en raison d’obstacles” n’ayant “pas été correctement anticipés”, comme la “difficulté à interconnecter des systèmes d’information disposant d’un très haut niveau de sécurité”.

Il en est de même pour le développement des 2 autres applications du projet (la liquidation et le paiement des pensions) qui, explique la Cour, “se heurte à des différences dans les processus métiers” du SRE et de la Caisse des dépôts. Aussi, ajoutent les magistrats financiers, ces différences “nécessitent des arbitrages sur les choix informatiques que l’actuelle direction de projet, bicéphale, s’avère dans l’incapacité de rendre rapidement”.

La Rue Cambon enfonce le clou dans son référé : la signature d’une convention d’exploitation entre les 2 commanditaires du projet après la mise en service du système d’information mutualisé “achoppe toujours sur plusieurs points”, comme la répartition des charges ou la réversibilité, “ce qui illustre les divergences entre les intérêts de chaque structure et les limites de leur partenariat à moyen et long termes”.

Déjà un surcoût de 12 millions d’euros
Autre problématique pointée du doigt par la Cour : les surcoûts déjà engendrés par le projet. Selon les magistrats financiers, les retards déjà accumulés sont à l’origine d’une augmentation sensible du budget, qui a été relevé à 45 millions d’euros en avril 2022. Une hausse de 12 millions d’euros, soit de 35 %, “seulement 16 mois après la première estimation initiale”. Et la Rue Cambon prévient : “Les décalages de calendrier décidés durant l’année 2022 devraient également avoir un impact à la hausse sur le coût du projet”.

Les magistrats financiers concèdent malgré tout que les économies réalisées lors de la phase d’exploitation “devraient permettre un retour sur investissement au bout d’un an et demi”. Mais l’augmentation du coût de construction de ce système d’information risque de remettre en question cet équilibre et le projet pourrait ainsi finalement “se traduire par un surcoût” pour le SRE et la Caisse des dépôts. Un surcoût “in fine supérieur à ce qu’aurait été le coût de deux projets conduits séparément”, estime la Cour.

Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer ce dépassement budgétaire : l’abandon du projet initial de rapprochement institutionnel entre les 2 gestionnaires – ce qui a “réduit les synergies envisagées” –, la sous-estimation de la complexité technique et organisationnelle du projet, la fiabilisation des données, le raccordement des différentes applications métiers ou encore l’intégration de règles de gestion propres à chaque entité.

Un chef de projet pour améliorer le pilotage
Surtout, poursuit la Cour, ces retards et surcoûts sont également “la conséquence de défaillances de pilotage”. De multiples acteurs interviennent en effet dans ce projet : les services de la Caisse des dépôts et de la direction générale des finances publiques, mais aussi 150 agents implantés sur 4 sites. La complexité de cette organisation a d’ailleurs été pointée du doigt par des audits externes datés de 2022, explique la Cour. Ceux-ci ont mis en avant des “risques concernant la longueur des chaînes de décision”, “la relation de confiance” entre le SRE et la CDC et “la capacité à traiter les sujets urgents et importants à travers une gestion des risques simplifiée”.

Pour la Cour, une “reprise en main urgente” du projet est donc nécessaire pour se prémunir “contre tout risque de nouveau retard et de dérive” de son coût. En ce sens, elle recommande notamment aux commanditaires du projet de “s’assurer de la pertinence des objectifs stratégiques et opérationnels” du programme de mutualisation et de “renforcer sa gouvernance technique et budgétaire”. Et ce notamment en désignant un chef de projet “responsable de sa bonne fin dans le respect des coûts et délais”.

La Rue Cambon appelle aussi à soumettre le projet à une évaluation technique, organisationnelle et financière de la direction interministérielle du numérique (Dinum). Ce qui n’a pas été le cas, alors que tout projet informatique dont le coût est supérieur à 9 millions d’euros est censé faire l’objet d’une saisine pour avis conforme de la DSI de l’État.

Le gouvernement relève quelques avancées malgré des “aléas préoccupants”
"Ce programme ambitieux a déjà produit des résultats significatifs et il a posé les bases d’une collaboration informatique solide”, soulignent les ministres Bruno Le Maire et Gabriel Attal dans leur réponse au référé de la Cour. Initialement prévue en mars 2022, la mise en production du référentiel unique des assurés a été effectuée “en septembre 2022”, expliquent les ministres. Ils indiquent aussi que, depuis le mois d’avril, le paiement d’un premier lot de pensions est “désormais réalisé” au travers de la nouvelle application de paiement, dont le déploiement devait initialement commencer en janvier 2023. Quant à la convention de partenariat couvrant la phase d’exploitation, celle-ci est en “phase de relecture”. L’exécutif le concède malgré tout : “Si nous pouvons nous réjouir de ces avancées, nous ne pouvons pour autant ignorer que le projet connaît des aléas préoccupants avec une dérive des coûts et des plannings.” En réponse aux recommandations de la Cour, le gouvernement Borne met en avant un renforcement du pilotage du programme, notamment via la nomination d’un “coordonnateur transverse”. “Cette gouvernance renforcée a d’ores et déjà permis de faciliter les arbitrages pour la poursuite du projet de liquidation et de resserrer le pilotage de la fin du projet paiement”, assurent les ministres.
Quant à l’absence de saisine de la Dinum sur le projet de mutualisation, la DGFIP et la Caisse des dépôts “se sont attachées à soumettre régulièrement le programme à des regards extérieurs afin d’évaluer la soutenabilité de la trajectoire et de la réorienter autant que de besoin”, répond le gouvernement en citant les 2 missions d’audit confiées en 2022 à un prestataire externe. L’exécutif n’envisage pas pour autant de solliciter la DSI de l’État dans l’immédiat : “L’évaluation de la Dinum serait très certainement utile au programme mais compte tenu de la mission en cours confiée à l’expert de haut niveau, coordonnateur transverse, qui doit proposer des mesures concrètes pour améliorer la gouvernance du programme, il semble plus pertinent de la solliciter en 2024.”

PAR BASTIEN SCORDIA
21 juin 2023,
Acteurs Publics, accéder à l’article initial