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Les cadres publics ont du mal à se défaire de la culture du présentéisme

Allant à rebours d’une conception renouvelée de la performance qui mise davantage sur le collectif, le présentéisme a pourtant toujours cours chez les hauts fonctionnaires. Une pratique qui peut pourtant avoir des conséquences néfastes autant sur les cadres concernés que sur les collectifs de travail.

Le présentéisme au bureau peut recouvrir plusieurs définitions. Nous le prendrons ici comme le comportement qui consiste à réaliser des journées à rallonge à dessein d’être vu. Et de l’avis de la majorité des interlocuteurs que nous avons eu l’occasion d’interroger, c’est une pratique qui a toujours cours dans la fonction publique. “Il y a toujours une nécessité d’être vu, les cadres supérieurs ayant une forte activité de représentation, commente d’emblée une haute fonctionnaire. Cela suit également un modèle toujours très centralisé du management, la délégation, la répartition des responsabilités dans collectif de direction n’étant pas réellement valorisée.”

Sur cet aspect, il semble que le chemin à parcourir reste encore long. Et l’idée que les managers sont surhumains a toujours la vie dure. “Le présentéisme élevé est davantage un mal français qu’exclusif de la fonction publique, ou plus généralement des services publics, analyse de son côté Jérôme Friteau, directeur général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). Pour les cadres supérieurs, être au bureau tous les jours, ne pas prendre tous ses congés ou travailler tard le soir est encore synonyme d’engagement et représente un marqueur de culture de la performance.” Un constat qui contraste avec une prise de conscience générale selon laquelle le surprésentéisme est un facteur important de dégradation de la santé et ne rime pas pour autant avec productivité et performance.
Culture du surmenage

Cette situation pose pourtant un défi majeur, celui de l’exemplarité. Un manager qui continue systématiquement de travailler tard le soir nuit non seulement à sa propre santé et à son bien-être, mais contribue dans le même temps à créer une culture où le bien-être des agents est négligé. “En négligeant son propre bien-être, le cadre présentéiste montre un manque d’empathie envers lui-même, et potentiellement envers ses collègues, en perpétuant une culture du surmenage, analyse un haut fonctionnaire. Cette préférence pour la présence physique va faire peser une charge mentale très forte sur les collègues, qui vont se sentir obligés de rester au bureau sans raison productive, cultivant un environnement où la quantité prime sur la qualité.”

Et le phénomène du présentéisme semble concerner l’ensemble des versants de la fonction publique. Dans l’hospitalière, on constate néanmoins que les situations sont très contrastées d’un établissement à l’autre. “D’une manière générale, il faut encore encourager, chez les managers publics de santé, des pratiques professionnelles respectueuses de l’équilibre vie pro-vie perso, estime Samuel Rouget, directeur des ressources humaines du CHU de Tours. Au sein du Syndicat des managers publics de santé (SMPS), nous estimons que cela nécessite la sélection de profils de carrière plus équilibrés et le développement du télétravail même pour les managers, qui peut contribuer à rétablir cet équilibre.” Dans l’hospitalière, il semble que la notion d’exemplarité du chef reste importante. Pour autant, témoigne Samuel Rouget, “je travaille avec 500 cadres au sein de mon établissement et je n’ai pas le sentiment qu’ils restent au travail pour rester. Ils restent au bureau car ils ont des choses à faire et veulent aussi être en soutien de leurs équipes.”
Favoriser la performance collective

Guillaume Aubin, directeur de l’expérience travail au sein de la région Île-de-France, voit également dans ce phénomène du présentéisme une habitude bien française. Il observe néanmoins que la mise en place du télétravail a changé la donne sur ce sujet, dans la mesure où la présence physique n’a plus la même importance qu’auparavant. “D’une manière générale, le discours sur l’organisation individuelle du travail a aussi été libéré, observe Guillaume Aubin. Le développement des open spaces joue également dans le phénomène du présentéisme, tout simplement parce que les écrans d’ordinateur sont à la vue de tous et on assume plus facilement le fait de faire autre chose 5 minutes par jour sans que cela n’ait d’impact sur la productivité.”

Pourtant, les conséquences du présentéisme sur les cadres eux-mêmes ne sont pas à minimiser. La pratique, si elle est régulière, peut rapidement mener à un état d’épuisement professionnel. Mais plus largement, le présentéisme du manager risque aussi de créer une culture du zèle et un management par les horaires “alors même que nous sommes de plus en plus convaincus que la performance est collective, analyse Jérôme Friteau. Et le nombre d’heures réalisées ne crée pas nécessairement la performance durable. De manière plus insidieuse, le présentéisme embarque le management du contrôle et le micromanagement”.

Et le directeur général de la Cnav d’insister sur le fait que le travail hybride n’a pas éradiqué la culture présentéiste au travail. “Nous sommes entrés dans une culture de l’hyperreactivité via des sollicitations multicanales et il est désormais possible de se sentir plus aliénés qu’au bureau, avec des tunnels de réunions Teams, chaque créneau disponible dans l’agenda pouvant être sollicité.”

Cette culture du présentéisme est aussi incompatible avec la transition écologique qui “nécessite une approche holistique et empathique, où les décisions sont prises en tenant compte non seulement des besoins immédiats de l’administration, mais aussi de l’impact à long terme sur l’environnement et la société”, nous explique un haut fonctionnaire. De cette manière, le présentéisme encourage une vision étroite et à court terme, qui peut entraver une approche globale et empathique nécessaire à une véritable durabilité.

Pour faire changer ces pratiques, les managers estiment qu’il est toujours intéressant de conduire des démarches sur les liens entre maladie et travail, tout en veillant à ne pas discriminer les cadres concernés et en essayant d’évaluer les conséquences néfastes du présentéisme pour mieux sensibiliser sur la question.

par Marie Malaterre
24 novembre 2023
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