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Direction de l’Immobilier de l’Etat : « Un agent qui demande 2 jours de télétravail ou plus en moyenne hebdomadaire n’aura plus de place attribuée » (sic)

Alain Resplandy-Bernard :
« La crise énergétique accélère la réflexion
sur la politique immobilière de l’État »

Le directeur de l’immobilier de l’État, Alain Resplandy-Bernard, revient sur les axes du plan de sobriété énergétique annoncé par le gouvernement. « On assiste à une accélération des investissements sur le bâti, mais aussi à une montée en puissance des réflexions sur l’usage du bâtiment et son exploitation » détaille-t-il.

La crise énergétique modifie-t-elle l’appréhension de la politique immobilière de l’État ?

La crise constitue plutôt un accélérateur, sachant qu’il s’agissait déjà d’une politique placée très haut dans l’agenda. La direction de l’immobilier de l’État (DIE) s’est dotée d’une feuille de route « transition environnementale » en 2018, avec de premiers chantiers fixés. La montée en puissance de l’immobilier a ensuite connu une première accélération, très massive, avec le plan de relance. Nous connaissons, en 2022, une nouvelle accélération avec une première réaction dès le printemps : le déblocage d’une enveloppe de 50 millions d’euros pour réaliser des travaux en urgence de réduction des consommations d’énergie fossile avant l’hiver 2022-2023. Et depuis cet automne, nous déployons le plan de sobriété annoncé par le gouvernement.

Comment décririez-vous cette phase d’accélération ?

On assiste à une accélération des investissements sur le bâti, mais aussi à une montée en puissance des réflexions sur l’usage du bâtiment et son exploitation. Les calculs réalisés dans le cadre des grands plans d’efficacité énergétique ou de transition démontrent que 60 % de l’économie d’énergie résident dans l’enveloppe du bâti, ce qui nécessite des investissements. Mais 40 % résident dans les usages et l’optimisation de l’exploitation et de la maintenance des bâtiments, ce qui ne coûte pas grand-chose par rapport au bâti.

Indépendamment de la limitation du chauffage à 19 degrés l’hiver, quels sont les usages sur lesquels on peut progresser ?

Il faut rappeler que la température à 19 degrés, qui figure dans les textes et sur laquelle on insiste beaucoup, ne sort pas du chapeau : elle reste la plus efficace. Le parc de l’État

consomme environ 16 térawattheures par an. La mesure sur le chauffage, à elle toute seule, permet d’économiser 400 gigawattheures, soit 0,4 térawattheure par an. Mais bien sûr, la fixation de la température à 19 degrés dans les bureaux accueillant des personnes immobiles dans le cadre de leur mission doit être accompagnée, par exemple, par la tenue vestimentaire. Disons-le aussi, notre objectif, c’est 19 degrés dans le bureau des gens et pas 19 degrés à la sortie des bouches de chauffage ! L’atteinte de cet objectif pose donc la question des outils et du pilotage intelligent du bâtiment pour réguler. C’est le premier investissement que nous recommandons et qui sera de toute façon rendu obligatoire dans quelques années par une directive européenne. Si vous avez la possibilité de réguler la température à 14 degrés dans les locaux des archives, vous pouvez vous permettre de monter à 20 degrés dans les zones « habitées ».

Quels autres usages pouvez-vous citer ?

On peut jouer sur l’utilisation de l’eau chaude dans les sanitaires. Nous n’avons pas imposé de couper l’eau chaude mais simplement levé l’obligation de disposer d’eau

chaude dans les sanitaires aujourd’hui inscrite dans le code du travail. Évidemment, chaque situation reste différente. Il ne s’agit pas de couper l’eau chaude lorsque vos sanitaires comprennent des douches… En revanche, on peut, dans les étages, se laver les mains à l’eau froide. Il suffit parfois de disjoncter le chauffe-eau, ce qui représente potentiellement à l’échelle de tout le parc 35 gigawattheures d’économie. C’est donc tout sauf marginal dans la consommation des bâtiments de l’État. Pour embarquer le collectif dans cette transformation, on peut aussi chercher à s’éloigner des grands principes en poussant son administration à participer à des concours d’idées ou à des challenges pour la recherche de la meilleure performance, comme le concours « Cube » (1). Cela se fait en collège et les jeunes adorent ça. Ce type d’initiative permet d’envisager autrement des questions du genre : est-ce que je dois maintenir l’affichage lumineux dans le hall d’accueil ? Tout dépendra de l’usage et de la configuration du lieu. C’est un état d’esprit qui change.

Les crises du Covid et énergétique ont-elles constitué des points de rupture dans l’élaboration de la politique immobilière ?

La crise du Covid-19 a introduit un point de rupture majeur : l’irruption massive de nouvelles organisations de travail, hybrides. L’essor du télétravail rebat les cartes : la

demande est là. La direction générale des finances publiques (DGFIP) compte aujourd’hui 40 % de télétravailleurs. Nous sommes sortis de la crise sur le constat que nous étions capables de télétravailler. Mais il nous manquait malgré tout l’interaction sociale et l’efficacité que nous donne la discussion informelle. Cette situation invite à repenser la manière dont on conçoit les bâtiments : ils ne sont plus des endroits de production de masse où l’on prend tout un effectif et un organigramme que l’on essaie de caser pour des raisons financières. Nous essayons de nous placer progressivement dans ce que l’on appelle « l’activity based working », qui consiste à raisonner non plus en fonction de la place de l’agent dans la hiérarchie, mais en fonction de sa position de travail, du métier et des variations de l’activité pendant l’année. De quoi a-t-il besoin pour travailler efficacement ? Cette démarche nous conduit à nous interroger différemment : les bureaux sont-ils des lieux de concentration, des lieux d’échange à 2, des lieux de travail collectif à 3 ou 10, des lieux d’interaction avec le public, etc. ? Les espaces de travail doivent pouvoir offrir toutes ces configurations.

Est-ce aussi une manière différente d’introduire le flex office, qui reste un sujet sensible, socialement parlant ?

Je n’aime pas trop cette expression. Notre démarche reste architecturée autour des activités. Dans une journée de travail, vous n’êtes pas à 100 % dans un espace de concentration. Tous les agents n’ont pas la possibilité de télétravailler chez eux, mais certains l’ont et vont préférer réaliser l’activité de concentration chez eux. Si vous partez de l’idée que le siège doit devenir le lieu de l’interaction sociale, vous n’allez pas créer des bureaux individuels cloisonnés dans lesquels les interactions ne sont pas faciles. C’est cette logique qui a présidé lors de la conception des nouveaux bureaux de la direction de l’immobilier de l’État (110 agents à Paris), dont la livraison est prévue en fin d’année. Par exemple, nous avons prévu des endroits pour travailler à 3 ou 4, une configuration qui nous manquait beaucoup. Nous allons supprimer le bureau attribué (bureau, porte-manteau-caisson) pour les agents qui ont un certain niveau de télétravail. On gagne de l’espace qui nous permet de réaliser ces lieux.

Comment cette transformation s’organise-t-elle concrètement ?

À partir de 2 jours de télétravail par semaine, votre bureau reste vide en moyenne, sur l’année, 60 % du temps. Vous privez donc le collectif de mètres carrés – qui restent une chose rare – 60 % du temps. À la DIE, nous avons donc fixé un nouveau cadre : un agent qui demande 2 jours de télétravail ou plus en moyenne hebdomadaire n’aura plus de place attribuée. Il pourra aller sur une position individuelle pour se concentrer ou dans une salle de travail en équipe. Et nous commençons bien évidemment par l’équipe de direction. Je n’aurai moi-même plus de bureau attribué, mais j’aurai accès à une salle que l’on a appelée « le cockpit » et où le comité de direction peut se réunir. Pour interagir avec des préfets, des directeurs d’administration centrale ou des patrons du BTP, nous aurons une autre salle de réception, également équipée de « visio ». Pour écrire mes mails du quotidien, je n’ai pas besoin de place attribuée…

Avez-vous négocié cette transformation avec les représentants du personnel ?

Cette réforme a nécessité un important travail d’embarquement des équipes. Des agents étaient très convaincus par ce modèle d’organisation, d’autres très réfractaires. Et la majorité des agents restait indécise. Nous avons consulté très fréquemment toutes les instances de dialogue social de Bercy afin d’expliquer la démarche.

En matière d’élaboration de la politique immobilière de l’État, les crises ont-elles changé le rapport au temps ?

Oui et non. Le gouvernement a décidé de consacrer 2,7 milliards d’euros, sur les 100 milliards du plan de relance, à la rénovation énergétique des bâtiments de l’État. Mais avec une contrainte et un objectif : ce plan de relance devait très vite nourrir le carnet de commande des entreprises du BTP et pour toutes les tailles d’entreprise. Ce volet a été lancé le 7 septembre 2020, par un appel à projets. Nous avons laissé un mois aux administrations pour nous déposer des projets à hauteur de 8,4 milliards. Nous les avons analysés et classés avec un bureau d’études, puis soumis à l’arbitrage du Premier ministre le 14 décembre. Le Premier ministre [à l’époque Jean Castex, ndlr] a arbitré 4 214 projets. La compétition s’est déroulée en amont de l’arbitrage politique, à l’aune de deux critères : la performance énergétique (combien d’économies par euro investi en kilowattheures) et la rapidité d’exécution, avec un engagement des marchés de travaux avant le 31 décembre 2021. En 2021, nous avons notifié plus de 16 000 marchés de travaux. Nous nous étions engagés à réaliser entre 400 et 500 gigawattheures d’économies annuelles, et ce sera mieux : nous visons aujourd’hui plutôt 600 gigawattheures. Donc, pour répondre à votre question, nous savons aller très, très vite, mais nous gardons en tête que le temps de l’immobilier reste malgré tout incompressible du fait de certaines réalités physiques.

Quels sont les attentes et les questionnements les plus récurrents chez les managers publics locaux que vous rencontrez ?

Beaucoup de structures d’opérateurs sont inquiètes de l’augmentation des factures énergétiques. Le sujet de l’organisation du travail reste aussi très présent : les managers ont vu arriver le sujet du travail hybride, qui pose la question du management des équipes avec des conséquences sur l’organisation des lieux. Compte tenu de l’équipement massif des agents en ordinateurs portables, les exigences de niveau de câblage sont par ailleurs revues à la hausse. Le niveau de visioconférence n’est pas celui de 2019. Il existe une forte demande de débit de capacité dans les bâtiments de l’État, sans quoi les « visios » deviennent un vrai frein au fonctionnement.

Les managers ont-ils un besoin de formation sur ces questions immobilières ?

Tout dépend du niveau hiérarchique. Un chef de service, quel qu’il soit, n’a pas besoin d’être un expert immobilier. Il doit simplement être en capacité d’exprimer son besoin métier : recevoir du public, garder de la confidentialité, etc. À charge pour les gestionnaires immobiliers d’avoir dans leurs équipes de vrais professionnels qui entendent le besoin et qui savent le transformer en geste immobilier : rénover, vendre, etc. Le directeur d’une direction départementale interministérielle n’a pas besoin d’être un spécialiste immobilier. En revanche, un préfet de région élabore, avec le soutien de la DIE, une vision stratégique pour l’immobilier de l’État, notamment en termes d’implantations des services publics et de stratégies d’intervention.

Vous avez rappelé l’importance de l’immobilier dans la stratégie de sobriété énergétique que l’État s’est fixée. Nous sommes-nous donné les moyens financiers de nos ambitions sur le moyen terme ?

L’effort investissement sur le long terme est nécessaire. Nous nous plaçons dans un cadre légal : celui posé par le décret tertiaire lié à la loi « Elan » (2) et qui impose à tous les bâtiments tertiaires de plus de 1 000 mètres carrés de réaliser 60 % d’économies d’énergie d’ici 2050 et 40 % d’ici 2030. L’État reste le plus gros occupant tertiaire de France, ce qui nécessite un investissement massif. Par ailleurs, la stratégie bas carbone qui vise le net zéro en 2050 nécessite d’accélérer massivement avec de nouveaux investissements. Il nous faut une vraie cohérence dans le temps, sans « stop and go ». Et puis l’investissement dans la durée reste nécessaire pour donner un signal au marché du BTP. Le BTP français était jusqu’ici bien armé pour produire du bâtiment neuf. Nous lui demandons désormais d’investir aussi sur la rénovation, notamment thermique. La rénovation suppose davantage de « sur-mesure » et pose la question de la formation des compagnons. Le BTP a besoin de visibilité pour enclencher la dynamique. C’est le sens du plan de relance. Nous rencontrions les fédérations du BTP tous les mois lors de la mise en œuvre du plan de relance, pour les informer des marchés. Il y avait une cohérence avec l’autre priorité du gouvernement : développer l’apprentissage. De notre côté, au sein de l’État, nous devons nous muscler dans la conduite opérationnelle immobilière. Si nous voulons réaliser plus d’investissements, nous devons être sûrs que nous serons efficaces dans la conduite des opérations. Nous pouvons déjà compter sur certains corps comme celui des ingénieurs des travaux publics de l’État (TPE) ou celui des architectes urbanistes de l’État. Les compétences sont là mais nous avons un travail à réaliser avec les écoles de service public afin de bien établir nos besoins et de les faire mieux partager.

Quel est le niveau de connaissance du parc immobilier de l’État (bâtiments, surface, diagnostics de performance énergétique…) ? Dispose-t-on des bons outils de la donnée ?

Je note une vraie accélération dans ce domaine. L’État dispose de 190 000 bâtiments, soit 94 millions de mètres carrés. L’outil de connaissance comptable d’inventaire est bien présent et fiabilisé, du fait notamment de la certification des comptes. En ce qui concerne les descriptions techniques, comme le taux d’usage des bâtiments ou le type de chauffage, nous progressons. Nous avons travaillé avec une start-up, Deepki : elle a développé pour nous un outil de suivi des fluides qui permet de piloter toutes les consommations par points de livraison, quel que soit le fournisseur d’énergie ou d’eau. On donne ainsi à chacun des gestionnaires un outil de pilotage du parc. Cet outil de suivi des fluides va couvrir 75 % de la consommation d’énergie du parc de l’État. Nous avons donc parcouru en deux ans les trois quarts du chemin, le plan de sobriété devant nous permettre de réaliser le quart restant. Il faut maintenant des publics d’utilisateurs agiles. La DIE organise des webinaires consacrés à la transition énergétique, à destination des gestionnaires de parcs ou des techniciens. Ces webinaires sont énormément suivis. Il s’agit d’une formation technique, pointue. La DIE pratique aussi le partage d’expériences entre les différents acteurs, qui n’ont pas tous le même niveau de maturité.

Une nouvelle Agence, Agile, a été créée. À quels besoins répond-elle et selon quelles modalités d’action et de compétences ?

J’ai reçu un mandat ministériel pour cette expérimentation de dix-huit mois en mai

2021 et je dois remettre un rapport d’ici la fin de l’année. L’agence a été lancée pour deux missions. Tout d’abord : professionnaliser la gestion des cités administratives qui accueillent plusieurs administrations. L’agence a par exemple repris la gestion de la cité de Rouen. Après trois mois d’exploitation, l’agence a déjà fait lever toutes les réserves émises jusqu’ici par les pompiers. Deuxième mission de l’agence : développer le photovoltaïque. Il s’agit de développer à la fois des fermes photovoltaïques sur du foncier ou du « délaissé routier », mais aussi en autoconsommation sur des bâtiments de l’État.

La Commission européenne a réalisé, en juin, à la demande de la France, un benchmark sur les modes de gestion de l’immobilier public dans 19 pays. Qu’en ressort-il ?

Nous avons tous les mêmes priorités stratégiques, la transition environnementale et l’adaptation aux organisations hybrides, les mêmes défis sur le numérique ou la professionnalisation métier. Mais nous avons des organisations assez différentes entre le Sud de l’Europe et le reste, avec un mouvement très général vers la création d’agences immobilières très professionnelles, qui se placent dans une relation clients-fournisseurs vis-à-vis des administrations. Ce sont des agences détenues à 100 % par l’État, assez souvent propriétaires de l’immobilier, et qui vont facturer un immobilier au meilleur niveau aux administrations occupantes : Hollande, Autriche, Finlande, Allemagne, Angleterre, etc. C’est le modèle qui s’impose partout.

La France peut-elle tendre vers ce modèle ? Quel rapport avantages-coûts présente-t-il ?

Ce modèle présente un avantage : il clarifie les rôles en ce qui concerne l’immobilier, qui reste une fonction support. Il y a une certaine vertu à le confier à une entité qui doit rendre des comptes sur la prestation qu’elle fournit et son coût. En France, la gestion de l’immobilier public fonctionne mieux dans certains secteurs que dans d’autres : il ne faut pas fragiliser ce qui fonctionne bien. En revanche, l’agence peut constituer une plus-value pour les configurations complexes. C’est l’esprit de l’agence Agile et de son offre vis-à-vis des cités administratives.

Quels sont les autres points sur lesquels la France se distingue des autres pays européens ?

D’abord la masse. Nous gérons 94 millions de mètres carrés quand mon homologue allemand en gère 16 millions, car l’État fédéral est plus resserré du fait de la présence de Länder. Ce benchmark fait apparaître aussi autre une différence : il existe un indicateur que nous ne suivons pas en France et que les trois quarts, voire les quatre cinquièmes des autres pays suivent : celui de la satisfaction des occupants. C’est assez révélateur d’une défaillance majeure qu’il va falloir résoudre et qu’une agence peut permettre de résoudre. L’immobilier fourni à une administration est-il adapté à ses besoins ? Cette question en pose une autre : quel niveau de qualité est-il attendu et pour quel coût ? Car tout a un coût. Il faut que les contrats soient clairs. Pour y parvenir, il nous faut nouer une relation mature qui n’existe pas encore totalement. (sic)

Propos recueillis par Pierre Laberrondo

[1] Le Concours usages bâtiment efficace (Cube), organisé par l’Institut français pour la performance du bâtiment (Ifpeb) est, selon ce dernier, « une action d’intérêt général visant à aider les utilisateurs de bâtiments tertiaires ou d’habitation collectifs à diminuer efficacement leurs consommations ».

[2] La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, promulguée le 23 novembre 2018.

par Pierre Laberrondo, acteurspublics.fr, le 26.10.2022